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URGENCE PROCHE ORIENT

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Jane Birkin, à l'occasion du troisième anniversaire de la révolution syrienne, à Paris le samedi 15 mars 2014, lors d'une grande veillée de solidarité avec le peuple syrien devant la Tour Eiffel. Crédit : Amnesty International

Jane Birkin : « Chaque personne compte, c’est l’effet papillon»

Sur l’étagère de son salon, un pot de Peanut butter. Sur son bureau, un ouvrage pour arrêter de fumer par hypnose. Sur son ordinateur, un autocollant contre l’absence de liberté d’expression en Chine. Dans cette maison bohème, nichée au cœur de Paris, Jane Birkin évoque son parcours militant avec cet étrange mélange de lucidité et de juvénilité.

Cet entretien a été mené par Aurélie Carton pour La Chronique, le magazine des droits humains, en juillet 2012.

Vous étiez la marraine du Téléthon en 2001, vous êtes allée au Japon à la suite du tsunami… Qu’est-ce qui vous pousse à choisir une cause plutôt qu’une autre ?

Ce sont les rencontres. Chaque personne compte, c’est l’effet papillon. Le réalisateur Jacques Perrin m’a emmenée rencontrer les boat-people en Asie, Anna Politkovskaïa m’a parlé des Tchétchènes, le metteur en scène Chéreau de Sarajevo. Il connaissait un type épatant, Francis Bueb qui avait liquidé tout son argent personnel pour faire venir des artistes dans cette ville en guerre (Jean et Olivier Rollin, François Chalais, des photographes…). Ma fille Lou, âgée de 6 ans, découpait aux ciseaux à ongles les prix des vêtements que j’avais achetés pour les étudiantes de Sarajevo. On leur a aussi ramené plein de bouquins de la Pléiade destinés à leur bibliothèque. Là-bas, j’ai vécu avec des gens incroyables. Un petit garçon tenait sur son cœur un livre d’art sur sa ville parce qu’on la dénigrait sur les ondes. Les femmes fabriquaient leurs robes avec des rideaux pour ne pas porter les mêmes vêtements. C’était leur manière de résister, de narguer les snipers. Quelle dignité ! Tous les problèmes personnels de ma petite vie, la mort de Serge, celle de mon père, Jacques [Doillon] qui m’avait quittée, tout ça était balayé.

Qu’est-ce qui a forgé cette capacité d’indignation ?

Papa fut membre d’Amnesty International dès 1963. J’avais 12 ans quand j’ai manifesté avec lui contre la peine de mort à Londres, puis j’ai écrit une lettre au Home Office [le ministère de l’Intérieur], qui m’a répondu : « Miss Birkin, votre lettre est prise en considération ». Mon père s’est aussi porté garant d’une vingtaine de garçons pour leur éviter la prison. Pendant la Seconde Guerre mondiale, dans la marine, il transportait du matériel pour la Résistance française. Il m’a raconté le courage des résistants qui cachaient des aviateurs dans leur grenier alors que la Gestapo prenait l’apéro dans le bar en bas, et l’angoisse quand il y avait dix coquilles d’œufs qui traînaient sur la table alors que l’on déclarait avoir dîné à deux ! Cet homme avait un grand sens moral : ne pas mentir, ne pas tricher… Il a installé ça en moi en même temps que la culpabilité et ça, je ne te cache pas, je m’en serais passé ! Du coup, à peine arrivée en France, je marchais avec Robert Badinter contre la peine capitale et avec Delphine Seyrig pour l’avortement.

 

Est-ce que Serge Gainsbourg vous accompagnait dans vos combats pour les droits humains ?

Oh non ! En même temps, il savait qu’il ne fallait pas trop me contrarier, sinon il allait coucher dans le canapé ! Une fois, j’ai essayé de convaincre un chauffeur de taxi d’être contre la peine de mort, à la manière de mon père qui demandait toujours si l’on était capable de pousser sur le bouton pour tuer quelqu’un. Et le chauffeur de taxi m’a répondu « oui », sans hésiter. Quand je suis rentrée en larmes à la maison, Serge s’est moqué de moi : « Tu crois que sur une course de 15 balles tu vas ébranler les convictions d’un homme enracinées en lui depuis toute sa vie. Quel orgueil ! »

 

Dans vos films ou vos chansons, vous n’avez pas hésité à provoquer…

Je n’avais pas vraiment conscience de cette provocation. Par exemple pour Je t’aime moi non plus, qui a été bannie par le Vatican et la BBC, j’ai su beaucoup plus tard que cette chanson libertine avait acquis un sens politique dans l’Espagne franquiste, le Portugal de Salazar et même en Amérique latine. En passant sur les ondes avant que ces dictatures ne l’interdisent, elle était devenue une sorte d’hymne de liberté. En attendant, le pape a été notre meilleur attaché de presse !

 

Aujourd’hui, le militantisme souffre d’un problème de transmission. Comment avez-vous vécu cette question de la transmission avec vos enfants ?

Peut-être que ça les a emmerdés mais malgré tout, je crois que c’est seulement par l’exemple que l’on transmet quelque chose. J’ai souvent été à des manifestations avec un enfant sur les épaules. Quand j’ai réalisé le film pour les 30 ans d’Amnesty International, je suis allée aux Philippines avec ma petite Lou. Elle avait 8 ans et trimballait mes bobines de film, distribuait des sandwiches aux jeunes filles que je filmais. Elle était mon « passeport » avec tous les enfants vietnamiens du camp de Palawan. D’ailleurs si je suis allée jusqu’à ces camps, c’est parce que Lou s’était prise d’amitié avec un petit garçon rencontré dans la cale d’un bateau qui s’appelait Tam.

 

N’avez-vous jamais eu envie de vous investir directement en politique pour être plus efficace ?

Je crois que je serais nulle car il faut prendre des décisions sans forcément voir le point de vue de l’autre. Mon père savait faire ça. Peut-être que je comprends trop l’autre côté des choses. J’ai été en Palestine, je soutiens le théâtre de Ramallah et je ne savais pas si je devais aller chanter à Tel Aviv. Alors j’ai téléphoné à l’écrivain israélien David Grossman pour lui demander son avis. Il m’a dit de venir et de parler. Alors j’ai fait un parallèle avec la situation en Irlande du Nord, expliquant au public israélien que nous, Anglais, nous devions aussi regarder l’histoire de l’Irlande, le nettoyage ethnique opéré par Olivier Cromwell au XVIe siècle, la famine de 1921… Je pense qu’il faut toujours aller voir de l’autre côté du mur. Mais peut-être que quand on a beaucoup souffert, on ne veut pas voir.

Comment vous nourrissez-vous pour garder cette énergie intacte pour défendre vos causes ?

Pour moi c’est plus simple d’agir que de rester avec ma culpabilité, devant ma télévision en me disant : « Ah les pauvres gens ! ». J’en pouvais plus de regarder cette putain de vague tous les soirs sur mon écran alors que pendant quarante ans, ce pays nous a accueillis avec Serge lors de nos concerts. Je me soupçonne d’être lâche alors je veux faire des choses qui ne sont pas lâches. J’ai eu l’idée d’y aller, puis d’embarquer des musiciens japonais dans une tournée de deux ans dans le monde entier. Et là, ces Japonais m’ont offert une « clé » pour l’existence : ils vivent sur une faille, ce qui leur donne une certaine philosophie de la vie, une capacité à vivre l’instant présent. Un jour, Serge m’a rapporté un homard et m’a demandé pourquoi je laissais la pince. Je lui ai expliqué que je garde le meilleur pour la fin. Alors il m’a dit : « Tu es optimiste toi, parce que tu peux mourir pendant le dîner ! ». Je pense que c’est ça que j’ai appris, à manger la pince d’abord.

 

Propos recueillis par Aurélie Carton.

Agir

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