Aller au contenu
Agir
Faire un don
ou montant libre :
/mois
Grâce à la réduction d'impôts de 66%, votre don ne vous coûtera que : 5,1 €/mois
Un membre de la milice de la région Amhara monte la garde à côté de magasins fermés à Sanja, dans la région Amhara, près de la frontière avec le Tigré, en Éthiopie, le 9 novembre 2020.
Conflits armés et protection des civils

Éthiopie : exécutions de civil.es en Amhara, les responsables doivent être traduits en justice

En août et octobre 2023, les forces gouvernementales éthiopiennes ont procédé à des exécutions extrajudiciaires de civil.es dans l’Etat régional de l’Amhara (Nord) où elles affrontent des milices locales, les Fano, depuis plusieurs mois. Le gouvernement éthiopien doit ouvrir une enquête en urgence et traduire les responsables devant la justice.

Dans notre nouvelle enquête, nous démontrons que les Forces de défense nationale éthiopiennes (ENDF) ont assassiné six civils à Bahir Dar, la capitale de la région Amhara, le 8 août 2023. Deux mois plus tard, les 10 et 11 octobre, ces même ENDF on fait de même avec six autres hommes, dont au moins cinq civils, dans le quartier de Seba Tamit. Dans certains cas des familles ont été privées du droit d’enterrer leurs proches

« Dès lors qu’il existe suffisamment de preuves, les personnes soupçonnées d’avoir commis ces violations doivent être poursuivies dans le cadre de procès conformes aux normes internationales d’équité, sans recours à la peine de mort », a déclaré Tigere Chagutah, notre directeur régional pour l’Afrique australe et de l’Est.

Lire aussi : Les homicides de Merawi doivent l'objet d'une enquête indépendante

Il a été difficile de documenter l’impact du conflit sur les droits humains dans cette région en raison de la coupure d’Internet, de l’interruption partielle des communications, ainsi que de l’état d’urgence général en vigueur depuis 7 mois, qui a un effet sur la liberté d’expression et des médias, et des craintes de représailles.

Ces violations graves du droit international humanitaire peuvent constituer des crimes de guerre. Faute de justice crédible en Éthiopie, l’impunité systémique continue d’enhardir les auteurs de crimes.

« Il faut remédier à cette absence généralisée de justice et d’obligation de rendre des comptes dans l’ensemble du pays », a argué Tigere Chagutah.

Entre le 1er novembre 2023 et le 6 janvier 2024, nos chercheurs ont mené 31 entretiens à distance avec des témoins oculaires, des membres de la famille des victimes, des professionnels de santé et des responsables religieux. Notre Crisis Evidence Lab a fourni des informations contextuelles en analysant des images satellite, des photographies et des vidéos.

« C’était un petit accident »

Selon plusieurs témoins oculaires et des parents de victimes, les victimes ont été tuées par des balles tirées à bout portant.

L’une d’elle s’appelait Yitateku Ayalew. Elle a été abattue par un soldat des ENDF chez elle près de Lideta.

Byniam, un membre de sa famille âgé de 17 ans, raconte que Yitaketu faisait cuire des injeras (une grande crêpe locale) dans la matinée du 8 août lorsqu’ils ont entendu les premiers coups de feu.

« Nous avons commencé à entendre des coups de feu vers 8 heures du matin du côté de Mulugeta Real Estate. Des habitant·e·s ont dit à Yitateku d’arrêter de faire cuire des injeras dans l’enceinte du lotissement et de rentrer chez elle. Elle a répondu : +Mon fils n’a pas pris son petit-déjeuner et je dois terminer+. Elle a refusé d’écouter. », raconte le jeune homme.

Lire aussi : Ethiopie, un conflit meurtrier loin des regards

 « Vers 9 h 15, un groupe de soldats est arrivé en courant. Je pense qu’ils poursuivaient quelqu’un dans la rue. Ils ont ensuite commencé à tirer en direction du lotissement, et ont touché Yitateku et une autre personne. Ils ont tiré à travers un trou dans la clôture et sont partis. »

Parmi les autres victimes : Aynew Defresh, un commerçant de 55 ans, et ses deux fils, Kassahun et Abraham. Ces trois hommes ont été abattus dans la rue alors qu’ils rentraient de l’église à pied.

Selon un membre de leur famille, lorsqu’ils ont appelé le téléphone d’Aynew, une personne qu’ils pensaient appartenir aux ENDF a décroché et a dit : « C’était un petit accident ». Des membres de la famille ont finalement ramené les corps des trois hommes à leur domicile.

« N’épargnez personne, tirez sur tout le monde »

Deux mois après, le 10 octobre, des combats ont de nouveau éclaté dans d’autres secteurs de la ville, principalement dans le quartier de Seba Tamit.

Nous avons pu confirmer l’exécution de six personnes par des soldats des ENDF les 10 et 11 octobre 2023.

Parmi les victimes figurais un patient qui a été tué par des soldats des ENDF à l’intérieur d’un centre de santé. Des soldats ont par ailleurs frappé et menacé d’une arme des membres du personnel dans ce même centre de santé.

Dans la même zone, des soldats ont exécuté trois frères et un de leurs voisins le matin du 11 octobre après s’être introduits dans la maison de Tadesse Mekonen, âgé de 69 ans.

Lire aussi : Ethiopie, neuf choses à savoir sur le conflit au Tigré

Nous avons recueilli les propos de trois personnes différentes qui ont déclaré que les soldats avaient tué les trois fils de Tadesse et une personne qui louait une chambre dans sa propriété.

Kassa*, un parent de Tadesse qui était avec la famille au moment de l’attaque, raconte que quelqu’un a ouvert la porte aux soldats avant que ces derniers n’escortent tous les hommes de la famille à l’extérieur. « Les soldats se sont mis à frapper ces hommes à coups de canne avant que l’un d’entre eux ne dise +N’épargnez personne, tirez sur tout le monde+. »

Selon Kassa, les soldats ont d’abord interdit à la famille de récupérer les corps, et il a donc fallu attendre qu’ils partent.

Trois témoins ont déclaré que les corps sont restés dans la rue de 9 heures du matin jusqu’à 16 heures.

Nous avons demandé à toutes les personnes interrogées comment elles avaient déterminé que les auteurs de ces actes appartenaient aux ENDF ?

La plupart d’entre elles ont déclaré que les ENDF étaient déjà actives à Bahir Dar trois mois avant que les affrontements n’éclatent, et qu’elles pouvaient reconnaître leur uniforme.

Plusieurs personnes ont déclaré que les soldats posaient des questions aux victimes ou à leurs familles telles que : « Soutenez-vous les Fano ? »

Plus d’un an après la fin des hostilités dans le Tigré, les forces gouvernementales continuent de bafouer les droits humains et le droit international humanitaire dans un nouveau contexte de conflit armé.

Lire aussi : Ethiopie, le viol des femmes comme arme de guerre

L’Éthiopie doit faire l’objet d’un examen régional et international. Les partenaires du pays, notamment les membres du Conseil des droits de l’homme des Nations unies, doivent prendre des mesures immédiates afin de reprendre l’examen scrupuleux de la situation des droits humains dans le pays, et mettre en place un processus de suivi des conclusions de la Commission internationale d'experts des droits de l'homme sur l'Éthiopie (ICHREE).

Le 9 février 2024, nous avons communiqué ses conclusions préliminaires au ministère de la Justice, en copiant le ministère des Affaires étrangères de la République fédérale démocratique d’Éthiopie. Au moment de la rédaction du présent document, aucune réponse ne lui était encore parvenue

Le gouvernement éthiopien doit :

🔴Permettre aux médias indépendants et aux organisations régionales et internationales de défense des droits de l'homme d'accéder librement à la région.

🔴Lever l'interdiction d'accès à Internet dans la région d'Amhara et la coupure des communications dans certaines zones de la région.

* Amnesty International a modifié le nom des témoins, afin de protéger leur identité.

Retrouvez ici le rapport en intégralité.

Contexte

L’Ethiopie, actuellement deuxième pays le plus peuplé d’Afrique avec 120 millions d’habitants, est sorti en novembre 2022 dans l’Etat septentrional du Tigré (nord) de deux ans de conflit, l’un des plus meurtriers au monde et marqué par d’innombrables exactions commises par les différents belligérants.

En août 2023, un nouveau conflit éclate dans la région Amhara entre les Forces de défense nationale éthiopiennes (ENDF) et les milices Fano. Ces derniers, qui ont prêté main forte à l’armée fédérale contre les dirigeants dissidents du Tigré, ennemis de longue date en raison de terres contestées, s’estiment trahis par l’accord de paix signé par le gouvernement fédéral avec ces derniers.

En avril 2023, une tentative du gouvernement fédéral de désarmer les Fano et forces amhara a mis le feu aux poudres en Amhara.

Le 1er août 2023, les ENDF ont lancé un avertissement public à un groupe qu’elles ont accusé de « perturber la paix du pays au nom des Fano ». Le 2 août 2023, des habitant·e·s de certaines parties de la région Amhara ont signalé aux médias des affrontements entre les ENDF et la milice Fano.

Ces derniers mois la Fano multiplient les opérations de guérillas contre l’armée fédérale et sont notamment parvenues à prendre brièvement le contrôle de localités importantes, telles que Gondar, ex-capitale impériale ou encore la ville sainte de Lalibela.

Le 4 août 2023, le gouvernement éthiopien a déclaré un état d’urgence de six mois applicable à l’ensemble du pays, à la suite de flambées de violence dans la région Amhara, un état d'urgence reconduit pour quatre mois supplémentaire le 2 février 2024.