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DAKAR - 9/02/2024 : des manifestants crient des slogans et ramassent des barils et des tables à brûler lors d'affrontements avec la police en marge d'une manifestation contre le report de dernière minute des élections présidentielles.  Le 8 février 2024, le parlement a soutenu la décision soudaine du président de reporter de 10 mois l'élection du 25 février, déclenchant une vive réaction de l'opposition et l'inquiétude de la communauté internationale. © GUY PETERSON / AFP
SENEGAL- Dakar, le 9/02/2024 : des manifestants crient des slogans et ramassent des barils et des tables à brûler lors d'affrontements avec la police en marge d'une manifestation contre le report de l'élection présidentielle. © GUY PETERSON / AFP

SENEGAL- Dakar, le 9/02/2024 : des manifestants crient des slogans et ramassent des barils et des tables à brûler lors d'affrontements avec la police en marge d'une manifestation contre le report de l'élection présidentielle. © GUY PETERSON / AFP

Liberté d'expression

Au Sénégal, "une détérioration inquiétante" des droits humains

Des dizaines de morts, des milliers de blessés, et des centaines d’arrestations arbitraires : depuis trois ans le Sénégal traverse une grave crise politique rythmée par plusieurs épisodes de violences meurtrières et dont le dernier en date a fait 4 morts et des centaines de blessés. A la veille de la présidentielle, notre expert, Ousmane Diallo, dresse un bilan inquiétant sur le respect des droits humains dans le pays et enjoint les futures autorités à entamer une profonde réforme du maintien de l’ordre.

Le Sénégal s’apprête à élire un nouveau président dimanche 24 mars 2024. Le premier tour de ce scrutin se tient après une grave crise qui a suivi l’annonce par le président sortant, Macky Sall, le 3 février dernier, d’un report unilatéral de l’élection présidentielle initialement prévue le 25 février.

Depuis trois ans, le pays est traversé par une profonde crise politique marquée par un bras de fer entre l’opposant Ousmane Sonko, libéré de prison le 14 mars 2024 après 8 mois de détention, et le pouvoir en place.

Lors des manifestations des 9 et 10 février 2024, nous avons documenté la mort de 4 personnes, dont un mineur de 16 ans, ainsi que des centaines d’arrestations et de blessés. A la suite de ces épisodes, le président Macky Sall, au pouvoir depuis 2012, a fait voter une loi d’amnistie couvrant les manifestations à caractère politique sur la période 2021-2024.

Lire aussi : Sénégal : une flambée de violence inédite fait plusieurs morts

Quelle analyse portez-vous sur la situation des droits humains au Sénégal depuis ces trois dernières années ?

Nous avons constaté une détérioration très inquiétante de la situation des droits humains. Il y a eu près de 60 morts liées aux manifestations, des milliers de blessées et des centaines d’arrestations arbitraires.  Il y a eu aussi beaucoup d’autres violations comme des attaques contre la presse, les journalistes et des coupures intempestives d’Internet.

La situation au Sénégal est dramatique. Elle s’est notamment dégradée dans le cadre d’un contexte politique tendu marqué par l’opposition entre Ousmane Sonko et son parti - aujourd’hui dissous – le Pastef et le pouvoir en place en plus d’être ponctuée par plusieurs affaires judiciaires. Il y a eu une véritable logique de répression par le pouvoir contre un groupe issu de l’opposition politique.

Lire aussi : : Sénégal : des manifestations sous haute tension

Depuis 2021, le pouvoir opère une nouvelle stratégie de son dispositif de maintien de l’ordre. Comment se caractérise-t-elle ?

A partir de 2021, on a pu voir des changements. Par exemple, dès qu’il y avait des manifestations, des tirs par balle entraînaient souvent des morts, ce qui n’était pas forcément le cas avant 2021. Cela montre la nouvelle logique du maintien de l’ordre : très militarisée et très violente.

On note une montée en puissance des forces de défense et de sécurité (FDS) ces trois dernières années au Sénégal à travers les lois d’orientation et de programmation militaire. Il y a un usage d'armes létales et à létalité réduite. Il y a des armes à feux, des véhicules blindés, sans oublier les équipements de protection des forces de défense et de sécurité qui sont très militarisés avec des casques, des genouillères, épaulettes etc…

Quels que soient les besoins d'équipements des forces de la défense et de sécurité pour répondre à ces menaces-là, ce surarmement ne doit pas servir un usage disproportionné de la force contre les manifestants. Ce sur-déploiement et ce surarmement se sont manifestés dans la répression contre les manifestants.  

En mars 2021, pendant plusieurs jours, le Sénégal a été le théâtre d’un déferlement de manifestations spontanées après l’arrestation de l’opposant Ousmane Sonko.14 manifestants ont perdu la vie, dont trois mineurs à la suite de tirs par balles de la police, de la gendarmerie et de l’armée.

Retour sur les manifestations de mars 2021 en vidéo👇

Le 6 mars 2024, le président sortant, Macky Sall, a fait voter dans un esprit d’« apaisement » et de « réconciliation nationale » une loi d’amnistie qui couvre la période 2021-2024. Que penser de cette loi ?

C’est un déni justice et des victimes. Cela veut dire que nous n’irons jamais au fond des choses, les responsabilités ne seront jamais établies sur les morts de plus de 60 personnes. Quinze familles ont porté plainte pour connaître la vérité sur les circonstances de la mort de leurs proches et obtenir justice.

Le seul fait pour l’État sénégalais de voter une loi d’amnistie est un affront à la justice, la vérité et une garantie de l’impunité pour les forces de défense et de sécurité.

Les autorités avaient parlé de « forces occultes », de « forces spéciales d’infiltration », tous ces narratifs politiques sont aujourd’hui jetés à la poubelle. Maintenant, on parle de loi d’amnistie pour « l’apaisement » et « la réconciliation nationale », on parle de « dialogue » comme un « moyen de gouvernance », ce sont des narratifs qui visent à légitimer cette loi d’amnistie.

Que faudrait-il pour établir efficacement les responsabilités et rendre justice aux victimes ?

Les nouvelles autorités devront abroger cette loi d’amnistie pour lutter contre l’impunité et éviter la répétition de ce qu’il s’est passé.

 Il faut enquêter, établir les responsabilités, et mener les réformes nécessaires pour que cela ne se reproduise pas.

Il faut aussi veiller à penser à un mécanisme de réparation pour les victimes.

Il faut réviser les textes régissant le maintien de l’ordre notamment les conditions dans lesquelles les forces de défense et de sécurité peuvent faire usage d’armes à feu. Les textes datent des années 60 et 70, ils sont dépassés notamment au regard de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et du Pacte international pour les droits civils et politiques. Il faut les mettre à jour.

Il faut s’assurer par exemple que tous les agents chargés du maintien de l’ordre portent des uniformes qui permettant de les distinguer et qu’ils n’aient pas de nervis (ndlr, hommes  de main, mercenaires) qui agissent à leurs côtés en civil, ce qui a été très fréquent ces trois dernières années.

Avez-vous rencontré des difficultés à travailler au Sénégal pour récolter et accéder à des informations ?

Non, je n’ai pas eu de difficultés à travailler sur ces questions car ce qui se passe au Sénégal touche presque la majorité des citoyens. Il est rare de trouver quelqu'un qui n'a pas été directement affecté par la crise, soit par des arrestations, des détentions ou même par des décès.

A Amnesty Sénégal, nous restons dans cette dynamique de lutte contre l’impunité dans la continuité de ce que nous avons commencé depuis mars 2021. Nous sommes également en train d’élaborer une campagne de communication sur les prisonniers d’opinion.

Nos demandes

Les autorités sénégalaises doivent:

abroger cette loi d’amnistie;

mener des enquêtes judiciaires rapides, approfondies et impartiales sur l’usage de la force par les forces de défense et de sécurité lors des manifestations, et que les personnes soupçonnées d’homicides illégaux soient traduites en justice dans le cadre de procès équitables devant des juridictions civiles ordinaires ;

respecter les libertés d’expression, d’information et de réunion pacifique garanties par les articles 9 et 11 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, et les articles 19 et 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), auxquels le Sénégal est partie;

libérer immédiatement et sans condition toute personne détenue arbitrairement et poursuivie pour avoir exercé son droit à la liberté d’expression ou de réunion pacifique;

autoriser les forces de sécurité à user de la force uniquement quand cela est nécessaire et que la réponse est proportionnée;

ouvrir des enquêtes impartiales et indépendantes sur les morts enregistrées dans le contexte des dernières manifestations.  

Agir

Sénégal : Justice pour les personnes tuées lors de manifestations

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