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Des manifestants protestent devant le tribunal de Old Bailey, à Londres, le 14 septembre 2020, où l'audience d'extradition du fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, a repris. © Tolga Akmen / AFP
Des manifestants protestent devant le tribunal de Old Bailey, à Londres, le 14 septembre 2020, où l'audience d'extradition du fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, a repris. © Tolga Akmen / AFP

Des manifestants protestent devant le tribunal de Old Bailey, à Londres, le 14 septembre 2020, où l'audience d'extradition du fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, a repris. © Tolga Akmen / AFP

Liberté d'expression

Procès Assange : un simulacre de justice

C’est un procès historique. Celui du fondateur de WikiLeaks qui risque d’être extradé vers les États-Unis et d’écoper de 175 ans de prison pour avoir publié des documents secrets. Mais c’est aussi celui d’un homme dont les conditions de détention et l’état de santé sont incompatibles avec la tenue d’un procès équitable.

Mise à jour du 25/09/2020 : Si nous avons pu assister à l'ouverture du procès en février dernier, nos observateurs n'ont pas été autorises à assister à la reprise des audiences en septembre. Ce refus injustifié renforce nos inquiétudes quand à la tenue d'un procès juste et équitable. Notre correspondante et nos observateurs ayant dès février pu témoigner des défaillances qui présidaient à l'ouverture du procès.

 

« Les 175 ans de prison qu’on lui promet est une peine indigne, insupportable et contraire à l’idée que l’on peut se faire des droits de l’homme », furent les premiers mots prononcés par Éric Dupont-Moretti, actuel ministre de la Justice, lors de la conférence de presse donnée le 20 février dernier à Paris par Reporters sans frontières. Le ténor du barreau est alors l’un des avocats de Julian Assange. Devant une salle comble, surchauffée mais silencieuse, il en appelle à la France : « Nous travaillons sur la possibilité de demander aux autorités politiques française un asile politique ».

Nous sommes à quelques jours de l’ouverture du procès de Julian Assange. Depuis avril 2019, le légendaire Australien aux cheveux blancs est enfermé dans la prison anglaise de Belmarsh en réponse à la demande d’extradition des États-Unis. La justice britannique l’a jeté entre ces quatre murs en attendant de décider si, oui ou non, elle accède à cette demande, c’est tout l’objet du procès qui vient de s'ouvrir. Extradé sur le sol américain, il y serait alors jugé pour intrusion dans leur système informatique des États-Unis, conspiration et espionnage.

Julian assange manifestant londres

Des manifestants protestent devant le tribunal de Old Bailey, dans le centre de Londres, le 7 septembre 2020, alors que l'audience d'extradition du fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, reprend. © Tolga Akmen / AFP

Au printemps 2010, son ONG Wikileaks, qui revendique sa volonté de « démasquer les secrets et abus d'État », avait diffusé, avec le concours de grands journaux internationaux, plus de 750 000 documents classifiés dévoilant des informations sur les activités diplomatiques et militaires américaines. Des documents ultra sensibles dont certains avèrent des crimes de guerre commis en Afghanistan et en Irak, comme ne se prive pas de le rappeler Éric Dupont-Moretti ce jour-là :

Assange a permis de révéler que Jacques Chirac, François Hollande avaient été espionnés par les Américains, ce n’est pas rien ! Il a permis la diffusion d’une vidéo, une bavure de l’armée américaine en juillet 2007 à Bagdad, au cours de laquelle 18 civils, dont deux journalistes, ont été tués lors d’un raid aérien. On y voit des soldats rire !

tonne l'avocat Éric Dupont-Moretti de sa voix grave.

Assis au premier rang, coincé entre l’œil d’une caméra et l’objectif d’un appareil photo, un grand homme mince, tout habillé de noir, l’écoute. Le père de Julian, John Assange, a les cheveux aussi blancs que son fils. Pendant toute la conférence de presse, il arbore un sourire évasif, mélange de fierté et de peur. Il faut dire que les nouvelles sur l’état de santé de « Julian » ne sont pas bonnes.

En mai 2019, le Rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, Nils Melzer et son équipe médicale lui ont rendu visite en cellule. Le fondateur de WikiLeaks présente « tous les symptômes typiques d'une exposition prolongée à la torture psychologique ». En novembre, son état s’est aggravé, l’expert estime alors que « sa vie est en danger ». Il en tient l’Angleterre responsable : « Julian Assange continue d'être détenu dans des conditions d'oppression, d'isolement et de surveillance, non justifiées par son statut de détenu. L’arbitraire flagrant et soutenu dont ont fait preuve tant le pouvoir judiciaire que le gouvernement dans cette affaire laisse présager un écart alarmant par rapport à l’engagement du Royaume-Uni en faveur des droits de l’homme et de l’État de droit ». Mais rien n’y fait. Les conditions de détention ne vont pas s’améliorer, elles vont même, les mois suivants, empirer.

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Des partisans de Julian Assange devant le tribunal après le premier jour de l'audience d'extradition de Julian Assange au Old Bailey, à Londres, en Angleterre, le 7 septembre 2020. © Lucy North / NurPhoto via l'AFP

Persécution politique

Il y aura plusieurs audiences. Elles débuteront en février, puis suspendues le temps du confinement, reprendront en septembre. John Assange fera toujours le même voyage. À l’aube, il quitte le centre de Londres pour rejoindre la prison située à Thamesmead en périphérie. Dans le train qui avance aussi lentement que le soleil se lève, les vitres laissent entrevoir les murs de briques, puis des étendues de terrains vagues bientôt giflées par la pluie. Les yeux du vieil homme s’y reflètent, mais il ne regarde pas, il pense à son fils : « Belmarsh est relié au tribunal par un tunnel. C’est une prison de haute sécurité construite pour le procès de 16 terroristes, il n’y a aucune raison pour que Julian s’y trouve. Passer vingt-trois heures par jour en cellule est considéré comme de la torture. Mais la juge a dit donner peu de crédit aux préoccupations exprimées par le groupe de travail des Nations unies sur les détentions arbitraires. C’est scandaleux ».

À son arrivée, une centaine de personnes venus du monde entier scande son soutien au prisonnier dans un brouhaha de colère. Beaucoup de Français portent un gilet jaune étonnamment identique à celui des policiers déployés autour de l’enceinte de la prison. Trempée par l’averse, Ada a voyagé de nuit, en car, depuis la banlieue parisienne :

Ils font un procès à la Vérité. Lui condamné, nous n’aurons plus les moyens de nous informer car tous les journalistes seront à leur tour menacés. Nous sommes là pour que l’on ne tue pas la Vérité.

Il y a des anonymes, et des célébrités, tous convaincus qu’en cas d’extradition, la liberté d’expression pourrait bien s’éteindre sous leurs yeux :

Ce n’est pas un crime de révéler les crimes de guerre des États-Unis, c’est dans l’intérêt de tous

souffle la styliste anglaise Vivienne Westwood.

Aucun de ces manifestants n’aura accès au tribunal.

vivienne eastwood julian assange

La créatrice de mode britannique Vivienne Westwood arrive au tribunal pour soutenir le fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, avant de se présenter au tribunal pour une audience d'extradition complète à Londres, au Royaume-Uni, le 7 septembre 2020. © Hasan Esen / Agence Anadolu via l'AFP

John, lui, passe le sas de contrôle, monte l’escalier pour rejoindre le balcon réservé au public. Devant la porte, un garde choisit au compte-gouttes, selon ses humeurs, la quinzaine de personnes autorisée à entrer pour assister à l’audience. Le père d’Assange se place au premier rang du balcon, plonge son regard sur le box des accusés : il est muré de verre. Julian Assange entre, s’assoit sur le banc. Rasé de près, les cheveux coupés court, il est vêtu d’un costume gris pâle et d’une chemise blanche qui lui donnent l’allure d’un prêtre au teint blanc. Il lève les yeux vers le balcon.

« Je regardais son visage, je voulais voir s’il allait me sourire », confiera John.

̶ Et il a vous a souri ?

Oui ».

L’audience débute, les angles d’attaque se dessinent. Les juristes américains venus en nombre affirment que l’Australien a conspiré contre les États-Unis. Qu’il a encouragé l’analyste militaire Chelsea Manning à pirater les ordinateurs. Qu’en diffusant ces informations, il a mis en danger des sources en Afghanistan. Cependant, à aucun moment ils ne citeront de nom, ou ne donneront d’éléments circonstanciés sur ces dernières accusations. De leur côté, les avocats de Julian Assange, et en premier lieu le célèbre ancien juge Baltasar Garzón, comptent prouver que ce procès est politique. D’ailleurs, lui tout comme son client n’ont-ils pas été espionnés pour les autorités américaines ? (cf. : L’autre affaire Assange). Lors de l’élection présidentielle américaine de 2016, Donald Trump ne lui a-t-il pas proposer de le gracier s’il affirmait que la Russie n’était pas impliquée dans la fuite de milliers d’-mails piratés du parti démocrate. Preuve que ce procès est politique ? 

julian assange procès politique

Un manifestant contre l'extradition du fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, devant le Old Bailey Court, à Londres. © Justin Griffiths-Williams / Spoutnik via l'AFP

Un état de santé « désastreux »

Un malaise parcourt la salle quand Julian Assange se lève pour parler. Pas de micro. Sa voix ne passe pas l’épaisseur des vitres, personne ne l’entend, pas même ses avocats. Ces derniers sont placés de l’autre côté des vitres, à plus d’un mètre du box, dos à lui. De sorte qu’il leur est impossible de communiquer de toute l’audience. Assange finira par leur transmettre des bouts de papier pliés en deux, arrachés de son carnet de notes qu’il glisse dans l’interstice laissé entre les vitres. Au soir de la première série d’audiences, il quitte la salle, lançant un dernier regard au balcon, le poing levé. Tout le rang lui répond du même geste. « Lors d’un procès d’une telle importance, comment un homme peut-il être en état de se défendre lorsqu’il est traité de manière aussi dégradante ?, s’indigne le rédacteur en chef de WikiLeaks, Kristinn Hrafnsson, Julian a été menotté 11 fois dans la journée, il a fait l’objet d’une fouille deux fois. Le matériel que ses avocats lui avaient laissé lui a été repris à la fin de l’audience. Mais que se passe-t-il ? À quel type de procès sommes-nous en train d’assister ? ». Le lendemain, le rédacteur en chef ne pourra pas accéder à la loge du public ; le garde à l’entrée nous dira avoir « reçu des ordres » pour l’en empêcher.

Suspendues pendant le confinement, les audiences ont repris en septembre. Pendant ces six mois, on a privé Julian Assange de tout contact :

Il est à l’isolement et depuis mars, aucun avocat n’a eu le droit de le voir

s’étonne Antoine Ney, son avocat en France.

« Je ne l’ai pas revu », nous écrit quant à lui son père John : « Les visites sont désormais de quarante-cinq minutes une fois par mois. Il est interdit aux visiteurs ou à ses enfants de le toucher. Sa santé est désastreuse, il devrait être hospitalisée après des années de torture psychologique et du handicap physique qui en résulte ».

Lors de la conférence de presse, quelques mois plus tôt, l’ancien juge Baltasar Garzón avait déclaré : « Ceux qui poursuivent Julian Assange comme délinquant sont ceux qui ont commis des crimes ». Il faut croire que l’Histoire lui donne raison. En mars dernier, la chambre d’appel de la Cour pénale internationale ouvrait une enquête pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité en Afghanistan. L’enquête vise l’ensemble des forces en présence dont l’armée américaine et ses services de renseignement.

Dates clés : Julian Assange, cloîtré depuis 8 ans

Juillet 2010 : WikiLeaks diffuse 250 000 câbles diplomatiques et d'environ 500 000 documents confidentiels portant sur les activités de l'armée américaine en Irak et en Afghanistan.

Novembre 2010 : La Suède lance un mandat d'arrêt européen à l'encontre de Julian Assange dans le cadre d'une enquête pour viol et agression sexuelle présumés.

Juin 2012 à avril 2019 : Julian Assange est réfugié politique dans l’ambassade de l’Équateur à Londres, où il aurait été espionné à partir de 2015.

2016 : Diffusion par WikiLeaks de milliers d'emails piratés du Parti démocrate et de l'équipe de Hillary Clinton. Selon ses avocats, Donald Trump lui aurait offert de le gracier s'il affirme que la Russie n'est pas impliquée dans la fuite de ces e-mails.

Mai 2017: Le parquet suédois classe sans suite l'enquête pour viol présumé. 

Avril 2019 : Julian Assange est arrêté puis enfermé à Belmarsh.

Mai 2019 : les Ėtats-Unis inculpent Julian Assange.

Octobre 2019 : La justice espagnole ouvre une enquête sur une société de sécurité à la solde des États-Unis qui espionnait Julian Assange à Londres.

Novembre 2019 : le Rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, Nils Melzer estime alors la vie de Julian Assange est en danger.

Février 2020 : Le Conseil de l’Europe s’oppose à l’extradition de Julian Assange. Celle-ci aurait un « effet paralysant sur la liberté de la presse », selon la Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe.

Mars 2020 : La chambre d’appel de la Cour pénale internationale ouvre une enquête pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité en Afghanistan.

Février, puis septembre 2020 : Audiences en extradition.

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