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Des migrants recueillis en mer alors qu'ils tentaient de traverser la Manche, le 10 janvier 2022
Amnesty International France
Des migrants recueillis en mer alors qu'ils tentaient de traverser la Manche, le 10 janvier 2022 © BEN STANSALL / AFP

Des migrants recueillis en mer alors qu'ils tentaient de traverser la Manche, le 10 janvier 2022 © BEN STANSALL / AFP

Personnes réfugiées et migrantes

Migrations/accords du Touquet : il faut mettre fin à « la politique qui ne génère que maltraitance et violence »

Signé il y a dix-neuf ans par Paris et Londres, les accords du Touquet font de la France le « bras policier » de la politique migratoire du Royaume-Uni pour empêcher les personnes exilées de traverser la Manche, dénoncent une trentaine d’ONG dans une tribune au « Monde ».

Depuis plusieurs décennies, des hommes, des femmes et des enfants originaires d’Europe de l’Est, d’Afrique de l’Est, du Moyen-Orient ou d’Asie du Sud-Est, toutes et tous en recherche de protection, survivent sur le littoral de la Manche et de la mer du Nord. La plupart de ces personnes exilées présentes sur nos côtes n’ont qu’un seul objectif : franchir – par tous les moyens – la frontière qui se dresse devant elles et qui les empêche de rejoindre le Royaume-Uni.

Il y a dix-neuf ans, le 4 février 2003, à la suite de la fermeture du centre de Sangatte et dans le prolongement du traité de Canterbury du 12 février 1986, la France et le Royaume-Uni signent le traité du Touquet. La frontière britannique est externalisée sur le sol français moyennant des financements de la Grande-Bretagne. La France devient le « bras policier » de la politique migratoire du Royaume-Uni pour empêcher les personnes exilées de traverser la Manche.

Expulsions, confiscations

Sur les côtes françaises, les autorités mettent en œuvre une politique de lutte contre la présence des personnes exilées et d’invisibilisation de celles-ci. Les maltraitances quotidiennes qu’elle implique sont nombreuses : expulsion de lieux de vie, confiscation d’affaires, maintien à la rue en l’absence de services permettant de couvrir leurs besoins fondamentaux, entrave à l’action des associations, etc.

Au moins 342 personnes ont perdu la vie à la frontière franco-britannique depuis 1999, dont 36 en 2021.

Cette politique n’est pas seulement indigne et inacceptable, elle est également mortelle : au moins 342 personnes ont perdu la vie à la frontière franco-britannique depuis 1999, dont 36 en 2021. La poursuite année après année de cette politique inhumaine, la répétition de ces maltraitances et de ces drames pourraient nous pousser au fatalisme. Au contraire, nous agissons pour l’amélioration de la situation, pour le respect des droits et de la vie des personnes en exil.

Lire aussi : Naufrage meurtrier dans la Manche, chronique d'un drame annoncé

C’est dans cet esprit que la Plate-forme des soutiens aux migrants (PSM), dont nous sommes membres ou que nous soutenons, a demandé à l’anthropologue Marta Lotto (« On The Border, la vie en transit à la frontière franco-britannique ») et au politologue Pierre Bonnevalle (« Enquête sur trente ans de fabrique politique de la dissuasion : l’Etat français et la gestion de la présence des personnes exilées dans la frontière franco-britannique. Harceler, expulser, disperser ») d’enquêter, pour l’une, sur les conditions de vie des personnes en transit et, pour l’autre, sur la gestion par les autorités françaises de la présence des personnes exilées à la frontière [présentation des deux rapports le 4 février, à l’université du Littoral-Côte d’Opale (ULCO), à Dunkerque].

Leurs analyses fines nous permettent une compréhension globale de la situation et nous contraignent, nous citoyens, à mettre les autorités face à leurs responsabilités et à leur imposer la mise en œuvre d’une politique alternative.

Aux portes de leur rêve

En effet, Marta Lotto, dans son rapport, nous indique que les raisons pour lesquelles ces personnes sont à Calais (Pas-de-Calais), Grande-Synthe (Nord), Ouistreham (Calvados) ou, pour d’autres, moins nombreuses, à Norrent-Fontes (Pas-de-Calais), Steenvoorde (Nord) ou Cherbourg (Manche), sont diverses.

Certaines ont commencé leur parcours migratoire avec l’objectif de vivre en Grande-Bretagne ; après un périple de quelques jours ou de plusieurs années, elles se retrouvent bloquées aux portes de leur rêve.

D’autres, au contraire, n’ont jamais imaginé aller en Grande-Bretagne, mais les circonstances de leur parcours les ont conduites aux portes de ce pays, qui est alors devenu le dernier recours face aux rejets auxquels elles ont été confrontées ailleurs en Europe.

Depuis trente ans, sans cesse, parce qu’elles veulent rejoindre leur famille, parce qu’elles sont anglophones ou parce qu’elles nourrissent de vains espoirs d’accéder à une vie meilleure, des personnes tentent de franchir les quelques dizaines de kilomètres qui les séparent de la Grande-Bretagne.

Barbelés et lames de rasoir

En dehors de la parenthèse 2015-2016, quand le tumulte du monde a poussé plus d’un million de personnes vers l’Europe, et une partie d’entre elles vers la Grande-Bretagne, il y a toujours eu entre 1 000 et 3 000 personnes en transit bloquées à la frontière.

Et, pourtant, ce n’est pas faute, pour les autorités françaises et britanniques, d’avoir tenu un discours de fermeté et mis en œuvre une politique de dissuasion. De manière très détaillée, le politologue Pierre Bonnevalle nous révèle que, depuis trente ans, quels que soient les gouvernements, une seule et même politique est menée : rendre les territoires situés sur le littoral de la Manche et de la mer du Nord aussi inhospitaliers que possible.

Nous avons donc vu pousser des barrières et des barbelés, nous avons appris ce qu’était une « concertina », ces barbelés couplés à des lames de rasoir. Nous avons vu des arbres abattus et des maisons murées. Nous avons aussi appris que mise à l’abri pouvait être synonyme d’expulsions violentes, et que la solidarité pouvait être un délit.

Comprendre : Qu'est-ce que le délit de solidarité ?

Atteintes toujours plus fortes à la dignité, violation des droits des personnes exilées et destruction de l’attractivité de nos territoires sont les seuls résultats de cette politique. Vient s’ajouter le reniement constant et systématique de nos valeurs, celles qui fondent notre vivre-ensemble. N’est-elle alors que communication ? Une mise en scène pour montrer que l’Etat agit ? Mais qu’est-ce qu’une politique qui ne génère que maltraitance et violence ?

Un dialogue citoyen

Face à ce constat d’un échec flagrant de la politique mise en œuvre à la frontière franco-britannique, face à la violence qu’elle engendre pour les personnes exilées, mais aussi pour toutes celles qui vivent sur ces territoires, nous devons, aujourd’hui, regarder la réalité en face.

Pour que ces personnes vivent dans des conditions dignes, pour que nos territoires ne soient plus constellés de campements et de bidonvilles, pour que nos valeurs soient respectées, le paradigme des politiques publiques mises en œuvre à la frontière doit changer. Ces deux rapports, mais surtout les maltraitances qui s’exercent chaque jour sur notre sol, nous incitent à l’exiger.

Pour obtenir ce changement de modèle, nous devons, ensemble, engager un dialogue citoyen réunissant l’ensemble des forces vives des territoires du littoral de la Manche et de la mer du Nord et imaginer, collectivement, une politique respectueuse des droits de toutes et tous.

Nous appelons toutes celles et tous ceux qui le souhaitent à nous rejoindre pour lancer cette dynamique de convention citoyenne à la frontière franco-britannique.

Tribune publiée à l'origine le 4 février 2022 sur le site du Monde

Les signataires de la tribune

Akim Toualbia, Président de Solidarity Border Antoine Sueur, Président Emmaüs France Amélie Gatoux, Responsable de projet et plaidoyer, ECPAT France Anais Vogel, Membre du collectif Faim aux Frontières André Verbeke, Responsable du Cercle de Silence Hazebrouck Camille Louis, Philosophe et dramaturge Carine Rolland, Présidente de Médecins du Monde Chrystel Chatoux, Co-présidente d’Utopia 56 Claire Millot, Secrétaire générale de Salam Nord/Pas-de-Calais Claire Raimbault, Secrétaire du comité locale du MRAP Littoral – Dunkerquois Claudette Hannebicque, Coordinatrice ADRA France antenne de Dunkerque Cécile Branquart Boutin, Co-présidente ECNou Cécile Coudriou, Présidente d’Amnesty International France Corinne Torre, Cheffe de Mission de la Mission France de Médecins Sans Frontières Damien Defrance, Président de Terre d’Errance Steenvoorde François Guennoc, Président de l’Auberge des Migrants Francesca Morassut, Coordinatrice communication et plaidoyer à Human Rights Observers Henry Masson, Président de La Cimade Jean-Marc Messali, Membre d’ACCMV Julie Cauchois, Coordinatrice plaidoyer à Project Play Léopoldine Leuret, Coordinatrice au Refugee Women’s Centre Lily Boillet, Administratrice Le Planning Familial 62 Ludovic Holbein, Membre du bureau collégial de Shanti Malik Salemkour , Président de la Ligue des Droits de l’Homme (LDH) Martine Minne, Présidente d’ATTAC Flandres Marie-Josèphe Westrelin – Co-présidente AMiS Marie-Charlotte Fabié, Directrice Safe Passage France Mehdi Dimpre, Calaisien Sylvie Bukhari-de Pontual, Présidente du CCFD-Terre Solidaire Sylvie Desjonquères, Responsable Emmaüs Dunkerque/ administratrice de la Maison Sésame Sophie Djigo, Fondatrice du collectif Migraction 59 Véronique Devise, Présidente de Secours Catholique Caritas France