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France. Malgré des preuves de plus en plus nombreuses, l'impunité persiste et les pratiques abusives se multiplient à la frontière avec le Royaume-Uni

Plus de six mois après la publication de son rapport La solidarité prise pour cible. Criminalisation et harcèlement des personnes qui défendent les droits des migrant·e·s et des réfugié·e·s dans le nord de la France et son appel aux autorités françaises, britanniques et de l'Union européenne (UE) pour qu'elles prennent de toute urgence des mesures contre les pratiques abusives à l'égard des personnes réfugiées et migrantes ainsi que des défenseur·e·s des droits humains à la frontière entre la France et le Royaume-Uni, Amnesty International reste profondément préoccupée par une situation toujours aussi désastreuse, précaire et inhumaine. La poursuite des violences et du recours excessif à la force par la police, ainsi que la multiplication des expulsions forcées de personnes réfugiées et migrantes, en l'absence de toute solution crédible pour les centaines de personnes bloquées à la frontière, demeurent de graves sources d'inquiétude.

Dans son rapport paru en juin 2019, Amnesty International décrivait les manœuvres de harcèlement et d'intimidation, les campagnes de dénigrement, les amendes, les arrestations, les menaces d'arrestations et de poursuites et, parfois, les agressions physiques aux mains de policiers subies par les défenseur·e·s des droits humains qui aident les personnes migrantes et réfugiées, lorsqu'ils distribuent de l'aide humanitaire et surveillent et dénoncent les violences. Par exemple, en juillet 2018, le défenseur des droits humains Tom Ciotkowski[2] a été violemment poussé à terre, puis accusé à tort et jugé pour « outrage et violence » – des charges passibles d'un maximum de cinq ans d'emprisonnement et d'une lourde amende. Il a finalement été acquitté[3] en juin 2019, et il a porté plainte contre les policiers qui avaient fait de fausses déclarations contre lui pour justifier les poursuites à son encontre.

La situation toujours précaire des personnes réfugiées et migrantes

Les attaques dont font l’objet les défenseur·e·s des droits humains dans la région sont liées à la situation dans laquelle se retrouvent les personnes réfugiées et migrantes. Fin novembre 2019, environ 500 à 600 personnes à Grande-Synthe, près de Dunkerque, et à peu près autant à Calais – adultes, adolescents et familles avec de jeunes enfants[4] – continuaient de vivre dans des camps informels, dormant dans des tentes légères sous un froid glacial, sans accès suffisant à l'eau et aux équipements sanitaires.

Depuis le démantèlement en 2016 de « la Jungle », vaste camp informel installé à Calais, les autorités appliquent une stratégie destinée à empêcher la formation de ce qu’elles appellent des « points de fixation » – ce qui consiste à démanteler régulièrement les campements pour éviter qu'ils ne deviennent semi-permanents – dans le but de dissuader les personnes réfugiées et migrantes de venir sur ce territoire et d’y rester. Outre le démontage régulier des camps et la confiscation des tentes, elles mettent aussi en œuvre cette politique en ne fournissant pas d’hébergement d’urgence adéquat in situ ni de services essentiels à proximité des campements. Les démantèlements sont réalisés par des fonctionnaires de la préfecture, des agents des services de nettoyage (qui emportent toutes les tentes laissées sans surveillance ou pliées, ainsi que les affaires des personnes réfugiées et migrantes) et un grand nombre d’agents des forces de l’ordre (souvent des gendarmes ou des membres des Compagnies républicaines de sécurité [CRS]). Ces derniers proviennent généralement d’autres régions de France, travaillent sur des périodes d’un mois maximum et sont formés à faire face aux émeutes et à gérer des foules plutôt que des personnes ayant besoin de protection, ce qui donne souvent lieu à des pratiques abusives contre les personnes migrantes ou réfugiées et contre les défenseur·e·s des droits humains. La police des frontières est souvent présente durant ces opérations afin de contrôler les papiers des migrant·e·s, et elle procède fréquemment à des arrestations. Dans la plupart des cas, les personnes arrêtées sont libérées quelques jours plus tard, parfois sans aucun document faisant état de leur arrestation, et souvent après avoir reçu une « obligation de quitter le territoire français », sans pour autant être rapatriées ou reconduites à la frontière.

En 2019, le rythme de ces opérations d'expulsion s'est accéléré. Selon le projet Human Rights Observers (HRO), groupe de la société civile qui recense les violences et les expulsions dans la région, le nombre d'expulsions forcées a doublé à Calais, passant de 452 sur toute l'année 2018 à 805 durant les 10 premiers mois de 2019. Cela signifie que les personnes migrantes et réfugiées vivant sous tente à Calais peuvent s'attendre à recevoir de la « visite » et à être chassées par les forces de l'ordre toutes les 48 heures en moyenne. À Grande-Synthe, les expulsions se sont aussi multipliées durant l'année. HRO en a ainsi recensé 32 entre mai et décembre 2018, et 154 entre janvier et octobre 2019[5].

Les expulsions ont peu d'effets sur le nombre de personnes vivant dans des tentes. Généralement, les migrant·e·s et les réfugié·e·s qui parviennent à sauver leur tente, leur sac de couchage et leurs maigres effets personnels reviennent dès que les autorités sont parties. Par ailleurs, le manque d'abris et de services ne les dissuade pas de rester dans la région car ils veulent à tout prix se rendre au Royaume-Uni. Ces expulsions incessantes semblent donc plutôt être une tactique destinée à harceler les personnes exilées et à exercer sur elles une pression permanente, sans leur proposer d'autres solutions crédibles et humaines malgré leur nombre relativement faible. L'une des conséquences de cette politique a été l'augmentation, en 2019, du nombre de tentatives de traversée de la Manche sur des embarcations dangereuses, telles que des canots pneumatiques surchargés, ainsi que des morts qui auraient pu être évitées, comme celle de God's Will, un jeune Nigérian victime d'une intoxication au monoxyde de carbone en novembre 2019, alors qu'il essayait de chauffer sa tente[6].

Durant les expulsions, qui sont souvent justifiées au nom de l'occupation illégale d'un terrain privé, les CRS et/ou les gendarmes empêchent les bénévoles de s'approcher des lieux et d'observer la situation ou d'aider les migrant·e·s. De nombreuses personnes migrantes ou réfugiées ont raconté aux organisations locales, aux bénévoles et aux chercheurs et chercheuses d'Amnesty International avoir, durant ces opérations et à d'autres occasions, reçu des insultes, des coups ou des jets de gaz lacrymogène de part des forces de l'ordre, comme décrit dans notre rapport et dans ceux de nombreuses autres organisations.

En réponse à une lettre d'Amnesty International, le ministère de la Justice a reconnu en mai 2019 que les victimes osaient rarement se faire connaître et qu’elles ne le faisaient qu’accompagnées de groupes de la société civile. En revanche, le ministère de l'Intérieur a adressé à Amnesty International, en juillet 2019, un courrier dans lequel il rejetait la plupart des préoccupations soulevées par l'organisation, affirmant que l'État offrait des services et un système d'accueil appropriés et que le nombre de plaintes enregistrées était très faible.

Le harcèlement persistant des personnes qui défendent les droits humains

Dans ce contexte, Amnesty International continue de recevoir des informations faisant état de cas de harcèlement, d'intimidation, de contrôles d'identité abusifs, d'amendes et d'attaques contre des défenseur·e·s des droits humains qui soutiennent les personnes réfugiées et migrantes à Calais et à Grande-Synthe. Voici quelques exemples récents, recueillis par l'organisation, d'actes de harcèlement et d'obstacles rencontrés par des personnes et des organisations qui aident les migrant·e·s :

1.       En octobre 2019, E. B.[7], 20 ans, bénévole britannique pour le projet Human Rights Observer, a été agressée par des policiers. Elle a raconté à Amnesty International que, à son arrivée à Grande-Synthe avec deux collègues, elle avait subi un contrôle d'identité mené par des CRS, qui lui ont pris son passeport. Ils ont aussi fouillé leur véhicule sans présenter aucun document légal justifiant cette fouille. L'un des collègues d’E. B. a commencé à filmer la scène avec son téléphone, mais un CRS lui a arraché le téléphone des mains et en a effacé les vidéos et les photos, tandis qu'un autre l'immobilisait. E. B. a alors aussi commencé à filmer, mais un CRS l'a attrapée dans le dos et l'a entraînée à l'écart du groupe. Il l'a ensuite relâchée et poussée, puis a commencé à agiter une bombe lacrymogène. Elle avait alors cessé de filmer et a levé les mains en l'air. Un deuxième CRS s'est approché d'elle, l'a saisie par le cou et a fouillé ses poches. Il lui a demandé une nouvelle fois son passeport, qui était toujours aux mains des premiers CRS qui l'avaient contrôlée, et il lui a dit : « Ici c'est la France, et en France on respecte la police, ce n'est pas le Royaume-Uni ! ». E. B. a ensuite récupéré son passeport et a pu partir, ainsi que ses collègues. Une semaine plus tard, elle s'est rendue au commissariat local pour signaler cette agression. Les policiers à l'accueil ont pris les premières informations (telles que le numéro d'immatriculation du fourgon de CRS et le numéro d'identification d'un des policiers qui l'avaient agressée), mais ils lui ont ensuite dit que leurs supérieurs refusaient de prendre sa déposition et ont tenté de la dissuader de porter plainte. E. B. affirme qu'elle a dû insister pendant près d'une heure avant qu'ils finissent par accepter de prendre sa plainte. Un mois plus tard, en novembre 2019, elle a reçu une lettre du parquet l'informant que les faits et les informations décrits dans sa plainte n'étaient pas constitutifs d'une infraction. Elle étudie actuellement l'opportunité de contester cette décision et a porté plainte auprès du Défenseur des droits et de l'Inspection générale de la police (IGPN) – l'organe de contrôle de la police.

2.       Khauleel Lee-Joseph[8], autre jeune bénévole britannique qui apporte une aide humanitaire aux personnes réfugiées et migrantes, a été arrêté et harcelé à maintes reprises par la police à Calais durant l'année passée, y compris pendant son temps libre. Il a indiqué à Amnesty International s'être fait contrôler et arrêter par la police au moins 20 fois en sept mois. N'étant pas blanc, il pense que ce harcèlement est lié à sa couleur de peau. D'après son témoignage, en mai 2019, lui et une autre bénévole ont été arrêtés par la police alors qu'ils roulaient dans une camionnette. La conductrice a été priée de descendre et de montrer ses papiers. Les policiers ont aussi demandé à Khauleel de sortir du véhicule, mais il a refusé en disant qu'il n'était que passager, et non conducteur. Quand les policiers ont insisté et commencé à frapper sa vitre avec leurs matraques, agitant des bombes lacrymogènes, Khauleel a sorti son appareil photo pour filmer. C'est alors que deux policiers sont entrés dans la camionnette pour le maîtriser et lui prendre l'appareil. Ils ont eu recours à la force physique, lui appuyant par exemple sur la nuque avec un bras pour le maintenir la tête en bas et posant un genou sur son dos, lui tordant violemment le pouce et lui enfonçant leurs pouces derrière les oreilles pour lui faire mal et l'obliger à leur remettre l'appareil photo. Khauleel a réussi à retirer la carte mémoire de l'appareil photo et à la cacher, avant que les policiers ne lui arrachent finalement l'appareil. Réalisant que la carte mémoire n'était plus là, les policiers ont commencé à fouiller le jeune homme et la camionnette. Ils lui ont baissé son pantalon sur les genoux et l'ont soumis à une palpation pour trouver la carte, y compris des parties génitales. Après avoir contrôlé son passeport et posé d'autres questions, les policiers ont finalement laissé Khauleel et sa collègue repartir. Une semaine plus tard, Khauleel a porté plainte à la police, fournissant une copie de la vidéo qu'il avait filmée ce soir-là. Le policier qui a pris sa déposition n'a cessé de mettre en doute ses propos et lui a demandé s'il existait d'autres copies de la vidéo. La plainte a ensuite été transmise à l'IGPN pour enquête. Celle-ci a contacté Khauleel pour la première fois en novembre 2019, afin de lui demander des informations. L'enquête est toujours en cours.

3.       Des membres du projet Human Rights Observers ont expliqué à Amnesty International que, durant l'année 2019, ils avaient régulièrement pris des photos et publié des informations et des photos sur Twitter[9] à propos des pratiques abusives de la police qu'ils constataient durant les expulsions, par exemple la destruction de tentes, de nourriture et d'effets personnels. En réaction, et enhardis par la condamnation pour diffamation de Loan Torondel, un jeune Français poursuivi pour un tweet ironique qu'il avait publié en janvier 2018, des agents de la préfecture du Pas-de-Calais ont envoyé plusieurs courriers à HRO pour l'avertir que les informations publiées sur son compte Twitter pouvaient être diffamatoires parce qu'elles ne « reflétaient pas la réalité », lui demandant de supprimer les tweets en question. En août 2019, l'équipe de HRO a écrit au préfet à propos du cas d'un CRS qui avait uriné en public durant une expulsion. Interpellé sur son comportement par une personne travaillant bénévolement pour HRO, il avait rétorqué : « Tu peux continuer à regarder si l'uniforme t'excite », entre autres remarques inappropriées. Le préfet a répondu que le commandant de la CRS régionale avait enquêté sur cette affaire, concluant qu'aucune faute n'avait été commise et que les informations fournies par HRO étaient fausses.

4.       En octobre 2019, la maire de Calais a pris un nouvel arrêté municipal interdisant la distribution de nourriture dans certaines parties du centre-ville jusqu'à la fin des festivités de Noël, au motif qu'elle posait des problèmes d'ordre public et de santé publique. La municipalité avait pris, en mars 2017, des arrêtés similaires, qui avaient été contestés en justice par des organisations locales et annulés par un tribunal administratif, puis par une juridiction supérieure en appel. À cause de ce nouvel arrêté, plusieurs bénévoles qui distribuaient de la nourriture dans la zone concernée ont reçu des assignations et des amendes. Ils ont le sentiment que l'on cherche une fois de plus à faire obstacle à leur travail indispensable, qui consiste avant tout à combler les lacunes des services de l'État à destination des migrant·e·s et des réfugié·e·s dans le besoin.

Les pratiques abusives contre les personnes réfugiées et migrantes ainsi que contre les défenseur·e·s des droits humains doivent cesser

Dans son rapport La solidarité prise pour cible. Criminalisation et harcèlement des personnes qui défendent les droits des migrant·e·s et des réfugié·e·s dans le nord de la France, Amnesty International avait constaté que la situation humanitaire à la frontière franco-britannique était le résultat de politiques migratoires et d'asile injustes, et avait appelé les autorités des deux pays, ainsi que celles de l'Union européenne, à se mettre d'accord sur une réforme, en particulier du règlement de Dublin[10].

En attendant qu'une telle réforme soit mise en œuvre, les autorités françaises doivent veiller à ce que leur système d’accueil et d’asile réponde aux besoins, et adopter une approche qui permette d’éviter des souffrances inutiles aux personnes qui sont bloquées à la frontière franco-britannique, en veillant à ce que les droits de ces personnes soient respectés quel que soit leur statut. Elles doivent faire clairement savoir que le recours excessif à la force de la part des forces de sécurité ne saurait être toléré, en ouvrant des enquêtes et en lançant des poursuites pour toute information faisant état d’un comportement répréhensible de la part de policiers.

Parallèlement, il est indispensable que les autorités françaises reconnaissent la légitimité des défenseur·e·s des droits humains qui aident les personnes réfugiées et migrantes, et qu'elles les protègent des attaques. Elles doivent condamner toute tentative de délégitimer leur travail et enquêter de façon approfondie et impartiale sur toutes les agressions qu'elles signalent.

En juin 2019, Amnesty International avait appelé spécifiquement les autorités françaises à ouvrir dans les plus brefs délais une enquête indépendante et exhaustive sur les pratiques policières abusives dont feraient couramment l'objet les personnes réfugiées et migrantes et les défenseur·e·s des droits humains, ainsi qu'à engager des procédures disciplinaires et/ou des poursuites pénales contre les responsables de ces agissements.

À ce jour, rien n'a été fait en ce sens et il apparaît de manière évidente que le manque de contrôle et l'impunité enhardissent les policiers déployés à la frontière en leur donnant carte blanche, tandis que les autorités françaises continuent de fermer les yeux sur la situation.

Amnesty International réitère donc l'appel urgent[11] lancé le 4 décembre 2019, avec d'autres organisations de la société civile[12], aux député·e·s français pour leur demander de créer une commission d’enquête parlementaire sur la situation aux frontières françaises et de proposer des mesures pour que les droits des personnes migrantes et réfugiées et des défenseur·e·s des droits humains soient respectés dans tout le pays.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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