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Palais de justice de Floride à Miami © Sabine Cessou

Palais de justice de Floride à Miami © Sabine Cessou

Peine de mort et torture

En Floride, la peine de mort à tout prix

La Floride « conservatrice » revendique la peine capitale. Et la Californie « progressiste » y reste paradoxalement attachée.

« Assassins ! » Tel fut le dernier mot d'Eric Scott Branch, exécuté le 22 février 2018 à la prison de Raiford, en Floride. Sous les yeux de la presse et de la famille de sa victime, Susan Morgan, une étudiante qu’il avait violée et tuée en 1993, une injection mortelle lui a été administrée par un bourreau anonyme – un citoyen payé 150 dollars pour cette tâche.

Je vous demande de ne pas participer à ceci. Le gouverneur veut être sénateur et Pam Bondi (la procureure générale de Floride) veut être gouverneur. Laissez-les venir ici et faire. Vous êtes des gens bien et ce n’est pas ainsi que vous devriez agir.

Eric Branch, juste avant son exécution, à l'adresse des officiels présents

Cinq minutes plus tard, un médecin légiste constatait le décès, provoqué par un mélange d’étomidate (sédatif), de bromure et d’acétate de potassium.

Eric Branch a été la 27e personne exécutée en Floride depuis que cet État de 21 millions d’habitants (sur 323 millions aux États-Unis) est gouverné par le républicain Rick Scott, élu en 2011 et par ailleurs contesté pour sa clémence à l'égard du port d'armes. Le prisonnier avait tenté un ultime appel, porté devant la Cour suprême de Floride. Il rappelait qu’ayant 21 ans au moment des faits, il aurait dû être traité comme un délinquant juvénile.

Il aura passé un quart de siècle dans « les couloirs de la mort » avant d’être exécuté à 47 ans, « un châtiment cruel et inhabituel » selon ses avocats. Le nombre d’années entre une condamnation à mort et son application s’élève à quinze ans en moyenne, aux États-Unis.

Lire aussi : En Californie : le plus long couloir de la mort

Sa requête a été rejetée sans commentaire le 22 février, une heure avant son exécution.

Quant à ses cris, ils furent couverts, sur le plan médiatique, par un autre drame. La fusillade au lycée de Parkland, qui a fait 17 morts et 15 blessés le 14 février.

Et ce n’est donc pas le débat sur la peine de mort, mais celui sur la vente d’armes à feu qui a été relancé, le président Donald Trump suggérant d’armer les professeurs dans les lycées, plutôt que de retirer les armes de la vente...

Le 22 février, le gouverneur Rick Scott fait ainsi les gros titres, non pour l’exécution programmée d’Eric Branch, mais parce qu’il a boudé la veille une réunion houleuse de « dialogue » entre les autorités et les familles des victimes de Parkland.

Le coût financier de la peine capitale

Quelques jours plus tôt, début février, un chauffeur de taxi jamaïcain de Miami se déclarait sans la moindre hésitation favorable à la peine de mort : « C’est la mesure la plus efficace qui soit et l’État de Floride est sûr. Je n’ai pas besoin d’arme à feu dans ma voiture, et je ne me souviens d’aucun incident majeur depuis plusieurs années... ».

La police, omniprésente à Miami, circule à vélo, en quad, à moto et en voitures de patrouille. Un sentiment de sécurité prévaut dans la cité balnéaire, malgré sa réputation de « Paradis perdu ».

Une image forgée dans les années 1980, lorsqu’elle est devenue la porte d’entrée des cartels latino-américains de trafic de drogue, en raison de sa proximité avec Cuba, Haïti et d’autre îles des Caraïbes, qui servent de route pour la cocaïne.

Alors qu’elle comptait 300 meurtres par an dans les années 1990, Miami affiche aujourd’hui un visage plus avenant : 60 homicides en 2016 contre 81 en 2014 et 75 en 2015.

Des statistiques moins mauvaises que celles, catastrophiques, de villes de taille comparable (6 millions d’habitants pour la métropole au sens large) comme Baltimore, Philadelphie ou Chicago.

Lire notre dossier : 40 ans contre la peine de mort

Elle n’en reste pas moins la quatrième ville la plus dangereuse des États-Unis selon le Pew Research Center, en nombre de meurtres pour 100 000 habitants.

Le « mass shooting » de Parkland a pu se produire, parce que Nikolas Cruz, un jeune homme de 19 ans, s’est procuré une arme et que les informations le concernant reçues par la police sur lui n’ont pas été traitées à la hauteur de la menace.

Le fait qu’il soit aujourd’hui passible de la peine capitale passe presque pour une évidence en Floride. « Et même au-delà de l’État, puisque des experts de CNN comme Joey Jackson, un avocat afro-américain, ont pris fait et cause pour la peine de mort dans ce cas précis. N’oublions pas cependant que les sondages racontent une toute autre histoire » note Glenn Garvin, journaliste au Miami Herald.

En effet, 62 % des Floridiens interrogés par le très sérieux institut Public Policy Polling préféraient la perpétuité en 2016, contre 35 % d’opinions favorables à la peine de mort.

Dans une enquête menée la même année auprès de 500 personnes susceptibles de participer à un jury lors d’un procès en Floride, Craig Haney, professeur de psychologie à l’Université de Santa Cruz, avait cependant pointé une grande ignorance sur le sujet : 69 % croyaient à tort que la peine capitale coûte moins cher que la perpétuité et – plus grave – 40,2 % que les personnes condamnées à vie sans « parole » (sans possibilité de réduction de peine ou de liberté conditionnelle) pourraient un jour sortir de prison.

Si l’alternative comme la prison à vie avec obligation pour le condamné de verser des réparations financières à la famille était possible, le taux d’opinions pro-peine de mort tomberait à 29%, note Craig Haney.

Bien documenté, notamment par le site Death Penalty Information Center (DPIC), le coût de la peine de mort est l’un des arguments choc de ceux qui s’y opposent.

La Floride économiserait ainsi 51 millions de dollars par an de deniers publics si elle condamnait à la perpétuité ses meurtriers au lieu de chercher à les exécuter, selon un enquête publiée en 2000 par le quotidien Palm Beach Post.

La raison ?

Le nombre inférieur d’exécutions par rapport aux condamnations, mais aussi le temps et les efforts passés à vouloir condamner à mort des personnes ensuite reconnues coupables de chefs d’inculpation moins graves, sans oublier tous ceux dont les peines sont transformées en appel et le coût supérieur de l’incarcération des prisonniers qui attendent la mort, dans des bâtiments séparés des autres détenus.

Entre 1973 et 1988, la Floride a dépensé 57 millions de dollars pour aboutir à 18 exécutions.

Au Texas, le journal Dallas Morning News parvient aux mêmes conclusions : chaque procès pour peine de mort coûte plus de 2,3 millions de dollars, trois fois le coût de l’incarcération d’une personne en cellule seule dans un quartier de haute sécurité pendant quarante ans.

Lire aussi : Les arguments contre la peine de mort

La Cour suprême tance la Floride

Pourquoi la Floride, courue pour son climat tropical, ses plages mythiques et l’attraction de Disneyworld, figure-t-elle parmi les États les plus conservateurs sur ce dossier ?

Les réponses sont à la fois politiques et historiques.

Sur les 31 États fédérés qui pratiquent toujours la peine capitale, elle affiche le plus fort nombre « d’exonérations », 27 cas de condamnés à mort à tort, et ensuite innocentés, sur un total de 161 aux États-Unis.

Pas moins de 96 personnes y ont été exécutées depuis 1979 (contre 548 au Texas et 13 en Californie) sur un total national de 1 469 personnes exécutées depuis le rétablissement de la peine de mort au niveau fédéral en 1976.

Autre record peu enviable : 346 condamnés attendent en Floride « dans les couloirs de la mort », de subir le même protocole qu’Eric Branch.

Ce nombre est le plus élevé du pays après celui de la Californie (746 condamnés à mort) et devant celui du Texas (243), de l’Alabama (191) et de la Pennsylvanie (169). Au sujet de la peine capitale, la Cour suprême rappelle régulièrement à la Floride qu’elle viole la Constitution dans ses lois comme ses pratiques.

Trois exécutions ont été spectaculairement ratées en 1990, 1997 et 1999, pour cause d’erreurs humaines curieusement persistantes. Une éponge synthétique – et non naturelle – a été placée à plusieurs reprises entre l’appareil d’électrocution et la tête du condamné, qui a pris feu. En 2000, la Floride a finalement décidé d’avoir recours à l’injection de produits mortels, tout en laissant aux détenus la possibilité de choisir la chaise électrique.

La persistance du racisme

Outre l’inflexibilité des autorités, un racisme profond persiste dans cet État du Sud des États-Unis, comme le rappelle Jasmen Rogers, militante du mouvement Black Lives Matter.

« Un seul Blanc a été exécuté à ce jour pour avoir tué un Noir en Floride », souligne-t-elle. Au niveau national, la dimension raciale du système judiciaire et carcéral des États-Unis est constamment débattue. Les intellectuels noirs pointent la persistance de la violence « coloniale » pratiquée par les « settlers » et les esclavagistes lors de la fondation du pays.

Et pour cause : pas moins de 41,5 % de la population carcérale se trouvant dans les couloirs de la mort est noire (pour une communauté qui représente 13 % de la population américaine), contre 42,4 % de Blancs et 13,2 % de « Latinos ».

« On l’oublie souvent, mais en 2015, le comté de Broward, l’un des trois de la ville de Miami, a connu le plus fort taux de meurtres aux États-Unis commis par la police à l’encontre de citoyens noirs désarmés », rappelle Jasmen Rogers. « La mobilisation reste faible en Floride du Sud, où nous n’avons pas connu les émeutes de Ferguson ou Baltimore, malgré la présence à tous les niveaux de la violence d’État ».

S’y ajoute la critique d’un système carcéral foncièrement capitaliste, géré en sous-traitance par des sociétés privées comme un énorme business.

Le chiffre d’affaires annuel de ce « complexe industriel » qui coûte 80 milliards de dollars par an à l’État fédéral ne serait pas ce qu’il est sans emprisonnement de masse – 2 millions de personnes pour moitié noires –, dénonce Angela Davis, qui a fait de ce sujet son ­dernier cheval de bataille.

Des inégalités structurelles se cachent aussi derrière la peine de mort. Au niveau fédéral, le coût moyen de la défense pour une inculpation à la peine capitale s’élevait à 620 932 dollars en 2008, soit huit fois plus qu’un procès pour meurtre sans peine de mort, selon une étude du Bureau des services de la défense de l’administration des tribunaux des États-Unis.

Cette étude relevait par ailleurs que les inculpés les moins nantis, qui dépensaient moins de 320 000 dollars en avocats (comme c’est le cas pour le tiers des procès impliquant la peine de mort), ont 44 % de probabilité d’être condamnés, contre 19 % des inculpés dépensant plus de 320 000 dollars en avocats.

Dans son combat contre ces injustices, la société civile est appuyée par le monde universitaire, qui publie lui aussi des études édifiantes, comme celle de Frank Baumgartner, de l’Université de Caroline du Nord, en 2016, sur « l’impact du genre, de la race et de la géographie » dans les exécutions en Floride.

Sa conclusion : les exécutions ont 6,5 fois plus de probabilité de se produire pour des meurtres de femmes blanches que d’hommes noirs.

Autre allié de poids, l’American Bar Association (ABA), qui regroupe des avocats et étudiants en droit aux États-Unis, plaide depuis 2006 pour une réforme en profondeur de la peine de mort en Floride.

« En 1991, déjà, une étude menée par la Cour suprême de Floride avait conclu à une application de la peine de mort dans l’État qui n’était pas « colorblind » (« aveugle à la couleur de peau »). Vingt-sept ans plus tard, nous en sommes toujours à recommander – en vain – une étude du système qui détermine l’existence ou pas de disparités inacceptables, qu’elles soient raciales, sociales, géographiques et autres », note Roy Austin, avocat.

- Sabine Cessou, envoyée spéciale à Miami, pour La Chronique d'Amnesty International

 

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