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© Justin Lynch/AFP/Getty Images

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Soudan du Sud : tout ce qu'il faut savoir sur les droits humains

Chaque année, nous publions notre Rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde. Un an d’enquête, 156 pays analysés. Voici ce qu'il faut savoir sur les droits humains au Soudan du Sud en 2022.

Les forces de sécurité du gouvernement et les groupes armés ont perpétré de graves atteintes aux droits humains, se livrant notamment à des homicides, à des violences sexuelles, à des enlèvements, à des placements en détention, à des actes de torture et d’autres mauvais traitements, à l’enrôlement et l’utilisation d’enfants, ainsi qu’à la destruction de biens civils. Au moins 24 personnes, dont un enfant, ont été exécutées de manière extrajudiciaire par les forces gouvernementales. L’utilisation des violences sexuelles liées aux conflits restait généralisée et systématique, et il était rare que les personnes soupçonnées de tels agissements ou d’autres crimes de droit international soient poursuivies. L’accès à l’aide humanitaire était limité et des millions de personnes se trouvaient en situation d’insécurité alimentaire aiguë. Le gouvernement n’a pas respecté, protégé, promu et mis en œuvre le droit à la santé. Les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique ont été bafoués. Des condamnations à mort ont été prononcées et des exécutions ont eu lieu. Un projet de détournement des eaux d’un fleuve risquait d’avoir des répercussions négatives sur les populations et sur la faune et la flore sauvages de la région.

CONTEXTE

En mars, le Conseil des droits de l’homme [ONU] a renouvelé le mandat de la Commission des Nations unies sur les droits de l’homme au Soudan du Sud. En mai, le Conseil de sécurité de l’ONU a reconduit l’embargo sur les armes. En juillet, le Conseil des droits de l’homme a adopté le troisième EPU du Soudan du Sud.

Le 2 août, les parties à l’accord de paix de 2018 ont signé une feuille de route prolongeant de 24 mois la période de transition. En novembre, le processus de paix mené sous l’égide de la communauté de Sant’Egidio entre le gouvernement et les groupes armés d’opposition qui n’avaient pas signé l’accord de paix de 2018 a échoué. Les violences se sont poursuivies dans tout le pays, opposant les parties au conflit, les milices qui leur étaient alliées, des groupes armés et des groupes d’autodéfense.

Le pays a subi pour la quatrième année consécutive de graves inondations, qui ont affecté plus de 1,1 million de personnes, détruisant des maisons, des écoles et des structures de santé, et anéantissant des sources d’eau et les rendements de production alimentaire. Plus de 2 millions de personnes étaient déplacées à l’intérieur du pays et 2,27 millions s’étaient réfugiées à l’étranger.

En octobre, The Sentry, une organisation d’investigation et d’examen des politiques publiques, a révélé que près d’un milliard de dollars des États-Unis avaient disparu dans une arnaque au crédit bancaire au profit de dirigeant·e·s du Soudan du Sud et de leur famille, privant des centaines de milliers de personnes des services de santé et des prestations alimentaires dont elles avaient besoin.

ATTAQUES ET HOMICIDES ILLÉGAUX

Entre février et mai, des affrontements ont éclaté dans le sud de l’État d’Unité entre, d’un côté, les forces de sécurité gouvernementales et les milices qui y étaient affiliées et, de l’autre, l’Armée populaire de libération du Soudan-Opposition (APLS-O). D’après les Nations unies, les forces gouvernementales et les milices qui leur étaient alliées ont perpétré des attaques illégales telles que celles ayant visé des civil·e·s. Au moins 173 civil·e·s ont été tués et plus de 130 femmes et filles ont été victimes de viol ou de viol collectif.

Les violences ont également donné lieu à des pillages d’habitations et de bâtiments publics, à des vols de bétail et au déplacement d’au moins 44 000 civil·e·s.

À partir d’août, des combats de grande ampleur ont opposé la milice Agwelek (une milice ethnique associée au gouvernement) ; l’APLS-O ; une faction dissidente de l’APLS- O ; et des éléments de l’Armée blanche (forces de défense de groupes ethniques).

D’après les Nations unies, lors d’attaques de sites où vivaient des personnes déplacées, les parties en présence ont tué et enlevé des personnes civiles, détruit des biens civils et perpétré des violences fondées sur le genre. Les hostilités ont entraîné le déplacement d’au moins 20 000 personnes, aggravant une situation humanitaire déjà dramatique. Celles et ceux qui ne pouvaient pas fuir suffisamment loin, notamment des personnes âgées, seraient partis se cacher dans la brousse et dans les marais.

D’après les Nations unies, les combats entre les forces gouvernementales, les forces d’opposition et un groupe armé non étatique, le Front national du salut (FNS), se sont poursuivis pour la cinquième année consécutive dans le sud, et le FNS et les forces gouvernementales se sont livrés à des enlèvements, ont procédé à des arrestations arbitraires et ont maltraité des civil·e·s.

Dans d’autres régions, entre décembre 2021 et le 30 novembre 2022, les forces de sécurité gouvernementales, l’APLS-O et des milices locales ont été responsables d’au moins 665 cas d’atteintes aux droits humains, notamment des homicides arbitraires, des exécutions extrajudiciaires, des violences sexuelles, des enlèvements, des placements en détention, des tortures ou d’autres mauvais traitements, et des pillages ou destructions de biens civils.

VIOLENCES SEXUELLES OU FONDÉES SUR LE GENRE

Entre le 25 février et le 30 novembre, la Mission des Nations unies au Soudan du Sud (MINUSS) a réuni des informations sur 52 cas de violences sexuelles liées aux conflits – dont 103 personnes ont été victimes – commises par les forces de sécurité gouvernementales, par un groupe armé inconnu et par des milices locales. Les chiffres réels étaient probablement plus élevés.

D’après la Commission des Nations unies sur les droits de l’homme au Soudan du Sud, les violences sexuelles liées aux conflits demeuraient généralisées et systématiques, et l’absence d’obligation de rendre des comptes n’a fait qu’aggraver ce phénomène attribué à une société patriarcale.

Le Plan d’action 2021 des forces armées sur la lutte contre la violence sexuelle liée aux conflits n’a pas été suffisamment appliqué. Il était difficile de consulter un exemplaire de ce plan d’action, dont l’existence était presque inconnue des victimes et de la plupart des membres de la société civile.

Les services de santé mentale et de soutien psychosocial étaient toujours très peu disponibles et accessibles, alors que les victimes de violences sexuelles liées aux conflits en avaient besoin.

PRIVATION D’AIDE HUMANITAIRE

Selon les Nations unies, entre le 1er décembre 2021 et le 30 novembre 2022, 589 cas d’entrave à l’accès humanitaire ont été signalés. Sur l’ensemble de ces cas, 280 se sont accompagnés de violences contre le personnel et les équipements humanitaires.

Neuf attaques de convois ont été comptabilisées. Au moins 10 membres du personnel d’organisations humanitaires ont été tués et 233 autres ont dû être relocalisés en raison des combats entre les acteurs armés.

IMPUNITÉ

Les poursuites contre des personnes soupçonnées de crimes de droit international, notamment de violences sexuelles liées au conflit, sont demeurées l’exception, et l’impunité, la règle. Seule une poignée d’affaires concernant des violences sexuelles infligées à des civil·e·s par des éléments des forces de sécurité ont été jugées par des tribunaux militaires et civils, malgré le grand nombre de cas signalés. À la fin de l’année, aucun cas n’avait fait l’objet de poursuites en tant que crime de guerre ou acte de torture.

Le cadre juridique du Soudan du Sud ne prenait toujours pas en compte de façon efficace les violences sexuelles liées au conflit et d’autres crimes de droit international. Le Code pénal de 2008, qui n’avait toujours pas été modifié, ne contenait aucune disposition sur les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité, continuait de donner une définition restrictive du viol et ne prévoyait pas de responsabilité pénale en ce qui concerne la responsabilité hiérarchique.

En septembre, selon des observateurs nationaux ayant assisté aux audiences, huit soldats ont été déclarés coupables de viol par un tribunal militaire à Yei. Plusieurs membres masculins de la famille de victimes de violences sexuelles liées au conflit ont été partiellement indemnisés pour des faits jugés par un tribunal militaire à Yei en 2020.

DROIT À LA VÉRITÉ, À LA JUSTICE ET À DES RÉPARATIONS

Le 5 avril, le président a lancé des consultations publiques qui devaient servir de base à l’élaboration d’un texte de loi portant création d’une commission vérité, réconciliation et guérison. Un comité technique a entamé le travail de consultation en mai. À la fin de l’année, une fois ces consultations terminées, le comité a présenté un rapport au ministre de la Justice et des Affaires constitutionnelles.

La mise en place de l’Autorité d’indemnisation et de réparation et du Tribunal mixte pour le Soudan du Sud n’a pas progressé. Le président Salva Kiir a continué d’affirmer que la réconciliation était préférable à la reddition de comptes.

EXÉCUTIONS EXTRAJUDICIAIRES

D’après la MINUSS, de hauts responsables du gouvernement ont ordonné l’exécution extrajudiciaire de trois personnes civiles dans l’État de Warab et d’un policier dans l’État d’Unité. En juin, Human Rights Watch a indiqué que trois civils, dont un enfant, avaient été exécutés de manière extrajudiciaire dans l’État d’Équatoria-Central.

En août, d’après des informations parues dans la presse et le Groupe d’experts des Nations unies, les forces de sécurité du gouvernement ont passé par les armes trois soldats rebelles non armés dans l’État d’Unité et ont brûlé vif un autre homme. La MINUSS a recensé 13 autres exécutions extrajudiciaires.

DROITS DES ENFANTS

Selon les Nations unies, l’armée, l’APLS-O, l’Alliance d’opposition du Soudan du Sud, des groupes armés non étatiques et des individus armés non identifiés ont infligé de graves atteintes aux droits humains à 243 enfants (138 garçons, 102 filles et trois autres enfants dont on ignorait le sexe) ; ces chiffres étaient probablement en dessous de la réalité. Ils se sont notamment rendus coupables d’enlèvements, d’homicides, de mutilations, de viols, ainsi que du recrutement forcé et de l’utilisation d’enfants pour les combats et les fonctions d’appui telles que le portage, la cuisine et l’espionnage, entre autres.

Selon les dernières données de l’UNICEF, 2,8 millions d’enfants étaient déscolarisés et un tiers des écoles avaient été endommagées ou détruites. Plus de 7 000 enfants avaient besoin de services de localisation et réunification familiales, et 1,4 million d’enfants souffraient de malnutrition aiguë.

DROIT À L’ALIMENTATION

Plus de six millions et demi de personnes étaient confrontées à une grave insécurité alimentaire. Selon la dernière évaluation du Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire, 7,76 millions de personnes, soit bien plus de la moitié de la population, allaient se trouver en situation d’insécurité alimentaire aiguë pendant la période de soudure s’étendant d’avril à juillet 2023.

Tout au long de l’année, la production alimentaire a fortement diminué sous l’effet du conflit, du déclin économique, des inondations et des chocs climatiques.

DROIT À LA SANTÉ

Le gouvernement a continué de manquer à l’obligation qui lui incombait de respecter, protéger et garantir le droit à la santé. Faute de structures de soins adaptées, le nombre de personnes mortes de maladies évitables et des suites d’autres problèmes médicaux était élevé, et cette situation était encore aggravée par les attaques contre les structures et les professionnel·le·s de santé commises par les forces gouvernementales, des groupes armés d’opposition, des groupes d’autodéfense et des milices. On estimait que 44 % de la population seulement avait accès à des services de soins de santé primaires.

Malgré la fréquence du syndrome de stress post- traumatique au sein de la population, la disponibilité et l’accessibilité des services de santé mentale et de soutien psychosocial restaient extrêmement limitées.

LIBERTÉ D’EXPRESSION, D’ASSOCIATION ET DE RÉUNION

Les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique étaient toujours bafoués. Le 18 janvier, les autorités ont autorisé le journal Number One Citizen à reprendre ses activités après les avoir suspendues le 9 décembre 2021 au motif que son rédacteur en chef n’était pas enregistré en tant que journaliste. D’après les informations disponibles, les autorités n’avaient pas apprécié que le journal protège ses sources.

Le 15 mars, d’après les Nations unies, le Service national de la sûreté (NSS) a censuré les articles d’un organe de presse, et n’a autorisé ce dernier à reprendre ses activités qu’à la condition qu’il s’excuse publiquement d’avoir déformé les propos du ministre de l’Information. D’après les médias, des agents du NSS ont brièvement arrêté neuf journalistes qui couvraient une conférence de presse du MPLS-O en juin. Ils leur ont confisqué tout leur équipement et ont effacé leurs enregistrements audio et leurs photos.

En février, la presse a signalé que des heurts avaient opposé des fonctionnaires de l’État de Jonglei, qui protestaient contre la décision du gouvernement local de cesser de leur verser leurs arriérés de salaire, et les gardes du corps du gouverneur ; plusieurs personnes ont été blessées.

En juin, d’après les médias, des dizaines d’enseignants de l’État de Warab ont été arrêtés par les autorités à la suite d’une manifestation qu’ils avaient organisée pour réclamer le versement de leur salaire. La plupart ont été libérés, mais six ont été transférés à la prison centrale de Rumbek, où ils ont été maintenus en détention jusqu’à ce qu’un tribunal décide, en août, d’abandonner l’ensemble des charges qui pesaient sur eux.

Le 7 août, à Djouba, des policiers et des agents du NSS ont arrêté et placé en détention pendant huit jours sept personnes qui manifestaient contre la hausse du coût de la vie. La police a arrêté une journaliste qui était en train d’interroger des manifestant·e·s, au motif qu’elle ne portait pas de moyen d’identification. Elle a été maintenue illégalement en détention pendant huit jours.

En septembre, le gouvernement a annoncé la création d’un tribunal spécial chargé des affaires de cybercriminalité et d’utilisation abusive de l’informatique. Une ordonnance provisoire de décembre 2021 visait à prévenir toute infraction commise au moyen d’un ordinateur ou d’Internet, y compris l’espionnage et la publication de fausses informations, et à instaurer une protection contre de telles pratiques.

Le texte de l’ordonnance définissait ces infractions de manière générale et ambiguë, ce qui laissait craindre que le gouvernement puisse les utiliser pour s’en prendre à des membres de l’opposition et de la dissidence et à des personnes critiques à son égard, notamment des défenseur·e·s des droits humains et des militant·e·s.

La Loi de 2014 relative au NSS n’avait toujours pas été modifiée, alors que des dispositions des accords de paix de 2015 et 2018 prévoyaient l’obligation de la réformer. Ce texte octroyait aux agents du NSS des pouvoirs semblables à ceux de la police en matière d’arrestation et de placement en détention, en violation du mandat de ce service, inscrit dans la Constitution et consistant en la collecte de renseignements, et des normes internationales relatives aux droits humains.

PEINE DE MORT

Des condamnations à mort ont continué d’être prononcées et des exécutions ont eu lieu. Le 22 mars, la Haute Cour de l’État d’Équatoria-Oriental a ordonné la libération de Magai Matiop Ngong. Il avait 15 ans lorsqu’il avait été condamné à mort par pendaison en 2017, après avoir été déclaré coupable d’un homicide, qui avait selon lui été commis par accident.

DÉGRADATIONS DE L’ENVIRONNEMENT

En avril, le gouvernement a annoncé son intention de relancer le projet de canal de Jonglei consistant à détourner des eaux dans la région marécageuse du Sudd pour alimenter le Nil au Soudan et en Égypte. De hauts responsables du gouvernement ont fait valoir que le projet permettrait de prévenir les inondations dans les États de Jonglei et d’Unité et, en mai, l’Égypte a acheminé des machines pour contribuer aux travaux de dragage.

Cependant, des universitaires, des spécialistes de l’environnement et des militant·e·s affirmaient que ce projet aurait des répercussions négatives sur les populations et sur la faune et la flore qui dépendaient de ces eaux, et qu’en limitant l’évaporation des eaux, il risquait d’entraîner un déficit de précipitations.

En juillet, d’après les médias, le président Salva Kiir a ordonné la suspension de toutes les activités de dragage au Soudan du Sud, notamment dans les marais du Sudd et dans la rivière Naam, un affluent du Nil, en attendant que des évaluations des répercussions de ces activités sur les populations et les écosystèmes de ces régions soient réalisées.

D’après l’agence Associated Press, le président a créé un comité consacré à la région du Sudd et au fleuve Nil Blanc, chargé d’étudier les possibilités de gestion des crues et des eaux, dont les conclusions devaient servir à prendre une décision sur les projets proposés.

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