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© Utomi Ekpei/AFP/Getty Images

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Nigeria : tout ce qu'il faut savoir sur les droits humains

Chaque année, nous publions notre Rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde. Un an d’enquête, 156 pays analysés. Voici ce qu'il faut savoir sur les droits humains au Nigeria en 2022.

Des milliers de civil·e·s ont été tués, blessés ou déplacés dans le cadre du conflit armé opposant les groupes armés Boko Haram et État islamique en Afrique de l’Ouest (EIAO) et l’armée nigériane dans le nord-est du pays. Toutes les parties au conflit armé ont commis des violations du droit international, dont des crimes de guerre, en toute impunité. Dans le reste du pays, des bandits se sont livrés à des homicides illégaux et à des actes de violence, auxquels les autorités ont répondu par des disparitions forcées, des actes de torture, des détentions arbitraires et de graves restrictions des libertés d’expression et de réunion pacifique. Des médias et des journalistes ont vu leur liberté d’expression limitée par les autorités. Des militant·e·s et des manifestant·e·s ont subi des restrictions de leurs droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique. Plus de 60 000 personnes ont été expulsées de force de chez elles. L’absence de protection contre les effets du changement climatique a entraîné des morts et des déplacements de population.

VIOLATIONS DU DROIT INTERNATIONAL HUMANITAIRE

Exactions perpétrées par des groupes armés L’État a failli à sa responsabilité de protéger la population contre les diverses exactions commises par Boko Haram, l’EIAO, ainsi que des hommes armés non identifiés. Selon les médias, au moins 6 907 personnes ont été tuées, 6 157 ont été enlevées et au moins 2 000 ont été transférées de force ou déplacées à l’intérieur du pays.

Les attaques perpétrées par Boko Haram, qui jusque-là avaient lieu surtout dans le nord-est, se sont étendues à certains États du centre-nord et du nord-ouest du Nigeria au cours de l’année. Lorsqu’elles étaient dirigées contre des personnes civiles, par exemple des villageois·es, des populations paysannes ou encore des usagères et usagers de l’autoroute ou de trains, ces attaques constituaient des crimes de guerre.

Selon des organisations de la société civile, le 26 mai, Boko Haram a tué au moins 60 personnes à Rann, dans l’État de Borno.Le 5 juillet, des hommes armés ont mené un assaut contre la prison de Kuje, à Abuja, libérant plus 60 personnes soupçonnées d’être membres de Boko Haram.Selon les médias, le 15 novembre, Boko Haram aurait tué plus de 15 femmes à Gwoza, dans l’État de Borno, après les avoir accusées de sorcellerie.

Sur les centaines d’élèves enlevés ces dernières années par Boko Haram, 110 filles étaient toujours en captivité à la fin de l’année.

Forces de sécurité

Les forces de sécurité ont systématiquement commis des violations des droits humains dans le cadre des opérations militaires menées contre Boko Haram dans le nord-est du Nigeria.

Selon des informations publiées par Reuters en décembre, l’armée nigériane menait depuis 2013 un programme secret d’avortements forcés dans le nord-est du pays. Au moins 10 000 grossesses avaient ainsi été interrompues sans le consentement des femmes et des filles concernées ou sans qu’elles en aient eu connaissance au préalable, ce qui pourrait constituer des crimes de guerre et un crime contre l’humanité.

Les membres des forces de l’ordre n’étaient jamais amenés à rendre de comptes pour les crimes commis contre la population civile.

LIBERTÉ D’EXPRESSION, D’ASSOCIATION ET DE RÉUNION

Le gouvernement a levé le 13 janvier l’interdiction qui visait le réseau social Twitter depuis sept mois. Le 14 juillet, la Cour de justice de la CEDEAO a déclaré que cette interdiction était illégale et a ordonné à l’État nigérian de respecter, protéger, promouvoir et mettre en œuvre les droits à la liberté d’expression et d’information et la liberté de la presse.

Le 2 février, la Commission nationale de régulation des médias (NBC) a suspendu une émission de la station de radio Vision FM en raison d’un débat qui s’y était tenu sur la prétendue incompétence du chef de l’Agence nationale de renseignement (NIA), Rufai Abubakar. Le 3 août, la NBC a sanctionné quatre médias pour avoir diffusé un documentaire qui faisait selon elle « l’apologie » du terrorisme.

Le 16 octobre, le gouvernement de l’État de Zamfara a fermé cinq médias parce qu’ils avaient diffusé un meeting de campagne d’un parti d’opposition.

Le 7 novembre, un tribunal de Kano a condamné deux célébrités des réseaux sociaux, Mubarak Muhammad, connu sous le pseudonyme Uniquepikin, et Nazifi Muhammad, à une semaine de détention, une peine de flagellation et une amende au motif qu’ils auraient diffamé le gouverneur de l’État de Kano dans un sketch.

Militant·e·s et manifestant·e·s

Le gouvernement a poursuivi sa politique de répression des manifestations. Le 5 avril, à Kano, le président de l’Association humaniste du Nigeria, Mubarak Bala, a été condamné à 24 ans d’emprisonnement pour des infractions pénales de troubles à l’ordre public. Les chefs d’inculpation étaient en lien avec des publications Facebook datant d’avril 2020 dans lesquelles il aurait insulté le prophète Mahomet.

Le 14 mai, le gouverneur de l’État de Kaduna, Nasir el Rufai, a interdit les manifestations religieuses dans cet État.

Le 27 juillet, la présidente de la haute cour de l’État d’Akwa-Ibom a fait incarcérer sans procès pendant un mois le militant Inibehe Effiong pour « outrage ».

Les prisonniers d’opinion Omoyele Sowore et Olawale Bakare étaient toujours sous le coup d’accusations forgées de toutes pièces et soumis à des procès interminables pour avoir organisé des manifestations pacifiques visant à réclamer le respect des droits humains et de l’état de droit.

Le 20 octobre, la police a utilisé des gaz lacrymogènes contre des manifestant·e·s pendant la commémoration du deuxième anniversaire du mouvement #EndSARS (pour la suppression de la SARS, Brigade spéciale de répression des vols) au péage de Lekki. Au moins quatre personnes ont été arrêtées et placées en détention.

Journalistes

Le 21 mars, la haute cour fédérale de Calabar a abandonné les charges de trahison controuvées qui avaient été retenues contre le journaliste Agba Jalingo. Celui-ci avait passé plus de 179 jours en détention.

Le 13 mai, le blogueur Bashiru Hameed a été placé en détention pour avoir publié le casier judiciaire présumé du gouverneur de l’État d’Ogun. Il a été libéré après avoir été contraint de supprimer la publication en question.

Les journalistes Abdulrasheed Akogun, de Fresh Insight TV, et Dare Akogun, de la radio Sobi FM, ont été placés en garde à vue le 13 octobre à Ilorin, dans l’État de Kwara, pour un message sur WhatsApp qui accusait le gouverneur de l’État de détournement de fonds publics.

Le 22 juillet, cinq membres du personnel du journal Peoples Gazette ont été arrêtés à Abuja après un article supposément diffamatoire publié par le journal au sujet de l’ancien chef d’état-major des armées.

Umaru Maradun, correspondant du journal Leadership dans l’État de Zamfara, a été placé en détention le 23 juillet pour des raisons non révélées, avant d’être libéré le lendemain sans inculpation.

Le 4 août, Casmir Uzomah, qui travaillait pour une radio dans l’État d’Imo, a été détenu pendant plus de deux mois par le Service de sécurité de l’État (SSS) pour avoir diffusé une chanson jugée « insultante » pour le gouverneur de l’État.

ARRESTATIONS ET DÉTENTIONS ARBITRAIRES

Au moins 40 manifestants étaient toujours détenus sans avoir été jugés à la prison d’Agodi, à Ibadan, et à la prison de Kirikiri, à Lagos, deux ans après avoir participé au mouvement de protestation #EndSARS contre les forces de sécurité nigérianes. Le 4 février, 21 manifestants de ce mouvement détenus au secret depuis 15 mois à la prison d’Afaraukwu, à Umuahia, ont été libérés sans inculpation.

Le 23 juin, la haute cour fédérale d’Abuja a accordé des dommages et intérêts à Glory Okolie, qui avait passé 150 jours en détention car elle était soupçonnée d’espionnage pour le compte du groupe séparatiste Peuples indigènes du Biafra (IPOB).

Le 13 octobre, la Cour d’appel a abandonné les poursuites pénales engagées contre le dirigeant de l’IPOB Nnamdi Kanu, déclarant qu’il avait été illégalement enlevé au Kenya pour être transféré vers le Nigeria, en violation de son droit à un procès équitable.

TORTURE ET AUTRES MAUVAIS TRAITEMENTS

La torture et les autres formes de mauvais traitements étaient toujours omniprésentes au sein du système pénal. Au moins 21 manifestants du mouvement #EndSARS ont été torturés en détention. Des policiers leur ont attaché les mains à des barres de fer et leur ont frappé les chevilles à coups de baguette au sein du Département des enquêtes criminelles (CID), à Umuahia, ainsi que dans d’autres locaux de la police. Des victimes ont indiqué à Amnesty International qu’au moins deux manifestants avaient été torturés à mort.

DISPARITIONS FORCÉES

Les autorités ont soumis plusieurs hommes à des disparitions forcées en réponse aux activités de l’IPOB.

Sunday Nwafor, Uzonwanne Ejiofor et Wilfred Dike, qui étaient détenus par l’armée depuis le 27 février 2020 dans un lieu tenu secret sans inculpation ni jugement, ont été libérés le 14 septembre.

Abubakar Idris, qui avait critiqué le gouvernement, était toujours porté disparu depuis son enlèvement par de présumés agents de l’État en 2019.

RECOURS EXCESSIF ET INUTILE À LA FORCE

Les forces de sécurité ont utilisé une force excessive pour disperser des manifestations et des rassemblements pacifiques. Le 19 octobre, dans le quartier de Surulere, à Lagos, la police a tiré des gaz lacrymogènes contre des para-athlètes qui protestaient contre leur exclusion du Festival national des sports.

Le 17 octobre, un tribunal du coroner (chargé d’enquêter sur les cas de mort violente, subite ou suspecte) a établi que la police avait abattu Jumoke Oyeleke pendant un rassemblement du peuple yoruba à Ojota, dans l’État de Lagos.

Le 4 octobre, une personne a été tuée et deux autres ont été blessées par la police dans la ville d’Ughelli (État du Delta) alors qu’elles manifestaient contre le harcèlement dont elles disaient être victimes de la part de responsables de la Commission des infractions économiques et financières (EFCC).

EXÉCUTIONS EXTRAJUDICIAIRES

Les forces de sécurité nigérianes ont tué au moins 122 personnes en réaction à la montée de la violence et aux homicides d’un certain nombre de leurs membres dans le sud-est du pays.

Le 17 juillet, au moins sept hommes ont été exécutés de manière extrajudiciaire par des membres d’Ebubeagu, un groupe paramilitaire soutenu par les autorités, dans la ville d’Awo-Omamma (État d’Imo).

EXPULSIONS FORCÉES

Le 17 août, des agents de l’Administration du Territoire de la capitale fédérale (FCTA) et des organes de sécurité ont démoli une centaine de bâtiments dans le quartier autochtone de Dubaidna Durumi 3, à Abuja. Les forces de l’ordre ont eu recours à une force inutile et excessive, faisant usage de gaz lacrymogène et agressant physiquement les habitant·e·s. Certain·e·s ont été blessés et plusieurs enfants ont été exposés au gaz lacrymogène, dont deux ont perdu connaissance. La pression exercée sur la population autochtone pour qu’elle quitte ses terres ancestrales persistait.

D’autres quartiers du Territoire de la capitale fédérale, notamment dans le secteur d’Airport Road, à Gishiri et à Banana Village, ont été détruits, tandis que plusieurs autres étaient toujours sous la menace d’expulsions forcées par la FCTA.

Le 29 janvier, les autorités de l’État de Rivers ont expulsé de force des milliers d’habitant·e·s des zones situées au bord de l’eau dans le quartier de Diobu, à Port Harcourt. Cette expulsion a été menée sans que les personnes concernées aient été consultées ni averties selon des modalités satisfaisantes.

DROIT À LA VIE ET À LA SÉCURITÉ DE LA PERSONNE

Les autorités n’ont pas tenu compte des prévisions annonçant de fortes précipitations et des crues, aggravées par le changement climatique selon les Nations unies, et n’ont pas mis en place de mesures suffisantes pour en atténuer les effets. D’après les Nations unies, plus de 1,9 million de personnes ont été touchées par les inondations dans 25 États, au moins

500 personnes sont mortes, et plus de 1,4 million ont été déplacées dans tout le Nigeria. Les inondations ont entraîné une flambée des maladies d’origine hydrique, en particulier dans les États du nord-est. Plus de 320 décès liés au choléra ont été signalés dans les États de Yobe, de Borno et d’Adamawa.

Les actes de banditisme se sont intensifiés dans le nord-ouest, notamment les attaques et les enlèvements. Les autorités n’ayant pas pris suffisamment de mesures pour protéger la population, des groupes armés concurrents sont parvenus à prendre le contrôle de certaines zones du Nigeria, imposant des impôts et des couvre-feux, et limitant les déplacements des habitant·e·s et leur recherche de moyens de subsistance. Dans le sud-est, des hommes armés non identifiés ont mené des attaques éclair et commis des homicides et des vols, dégradant les conditions de vie des populations locales.

Des opérations militaires ont été menées contre le banditisme dans le nord-ouest, et contre le Réseau sécuritaire de l’Est, branche armée de l’IPOB, dans le sud-est. Les forces de sécurité ont systématiquement commis des violations des droits humains dans le cadre de ces opérations. Selon les médias, le 17 avril, des militaires ont ouvert le feu sur des habitant·e·s d’Orlu, dans l’État d’Imo, faisant quatre morts parmi la population civile selon les estimations.

Les attaques commises par des groupes d’autodéfense sont devenues monnaie courante. Plus de 75 décès survenus dans de telles attaques ont été signalés durant l’année à travers le pays. Des spécialistes des questions de sécurité ont attribué la multiplication de ces attaques à la méfiance de la population à l’égard du système judiciaire.

Le 28 mars, au moins 65 personnes ont été enlevées et huit ont été tuées par des hommes armés qui ont attaqué un train reliant la capitale, Abuja, à la ville de Kaduna.

RESPONSABILITÉ DES ENTREPRISES

La pollution et la dégradation de l’environnement causées par l’industrie pétrolière continuaient de porter atteinte aux droits humains de la population dans le delta du Niger.

Le 16 juin, la Cour suprême du Nigeria a confirmé la décision prise par une juridiction inférieure qui interdisait à Shell de vendre ses actifs nigérians tant que le litige portant sur l’indemnisation de la population du delta du Niger pour un déversement d’hydrocarbures survenu en 2019 ne serait pas réglé. Le nettoyage réalisé par Shell n’était toujours pas suffisant.

DROITS DES ENFANTS

Plus de 1 776 élèves avaient été enlevés par des groupes armés depuis 2014. Les autorités nigérianes n’avaient toujours pas fait le nécessaire pour enquêter sur ces attaques ni pour protéger les enfants.

L’UNESCO estimait que 20 millions d’enfants et de jeunes n’étaient pas scolarisés au Nigeria à cause des obstacles économiques et des pratiques socioculturelles qui les décourageaient de suivre l’enseignement scolaire. Cette situation était aggravée par le fort taux d’insécurité et les nombreux enlèvements d’élèves.

DROITS DES FEMMES ET DES FILLES

En mars, l’Assemblée nationale a voté contre cinq propositions de loi qui visaient à promouvoir l’égalité entre les genres. Après plusieurs manifestations de groupes de femmes et d’organisations de la société civile, l’Assemblée nationale s’est engagée à réexaminer trois de ces textes.

Les autorités judiciaires de la capitale fédérale ont désigné quatre juges pour connaître de toutes les affaires de violences sexuelles et fondées sur le genre dans le Territoire de la capitale fédérale (la région du centre du Nigeria où se trouvait la capitale, Abuja), afin d’accélérer la tenue des audiences et de garantir l’accès des victimes à la justice.

Les États de Borno, de Taraba, de Gombe et de Zamfara ont adopté au cours de l’année la Loi relative à l’interdiction des violences faites aux personnes, portant à 35 sur 36 le nombre d’États qui avaient adopté ce texte. Néanmoins, les violences contre les femmes et les filles demeuraient endémiques et les signalements de violences domestiques et sexuelles étaient de plus en plus nombreux.

DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET DES PERSONNES BISEXUELLES, TRANSGENRES OU INTERSEXES

En juin, trois hommes gays – Abdullahi Beti, Kamilu Ya’u et Mallam Haruna – ont été arrêtés au titre de la Loi de 2013 sur l’interdiction du mariage entre personnes du même sexe, avant d’être condamnés à mort par un tribunal islamique à Ningi, dans l’État de Bauchi.

Le 1er mai, une cinquantaine de militant·e·s LGBTI ont manifesté à Abuja contre un projet de loi qui érigeait le « travestissement » en infraction.

DROITS DES PERSONNES DÉPLACÉES

Plus de 2,4 millions de personnes étaient toujours déplacées dans le nord-est du Nigeria. Dans l’objectif de réinstaller toutes celles qui vivaient à Maiduguri, le gouvernement de l’État de Borno a fermé quatre camps de personnes déplacées en juillet et transféré 11 000 ménages. La plupart des personnes réinstallées manquaient de nourriture et n’avaient pas suffisamment accès aux équipements de base.

PEINE DE MORT

Cette année encore, des tribunaux de tout le pays ont prononcé des condamnations à mort. Aucune exécution n’a eu lieu. Le

28 juin, l’État de Zamfara a modifié sa législation pour autoriser la peine de mort dans les cas de « kidnapping ».

En août, la Cour d’appel a ordonné la tenue d’un nouveau procès dans l’affaire du musicien Aminu Yahaya-Sharif, condamné à mort pour blasphème en 2020.

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