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Kenya

Chaque année, nous publions notre Rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde. Un an d’enquête, 155 pays analysés. Voici ce qu’il faut savoir sur les droits humains au Kenya en 2023.

Les forces de sécurité ont continué de jouir de l’impunité pour les exécutions extrajudiciaires, les homicides illégaux et les disparitions forcées qui leur étaient imputables. Le droit à la liberté de réunion pacifique a été violé : au moins 57 manifestant·e·s ont été tués par les autorités dans une volonté de museler la dissidence. Les pouvoirs publics n’ont pas pris de mesures pour protéger le droit à la vie. Les procès de plusieurs policiers accusés d’homicides illégaux ont été reportés à plusieurs reprises. Les droits des personnes LGBTI étaient menacés par un projet de loi homophobe. Une réforme fiscale radicale et la hausse du coût de la vie ont mis à mal la capacité des Kenyan·e·s à subvenir à leurs besoins. Une proposition d’augmentation des cotisations individuelles d’assurance maladie a compromis le droit à la santé des personnes qui n’avaient pas les moyens de payer davantage. Cinq millions de personnes étaient menacées d’insécurité alimentaire aiguë en raison de la sécheresse prolongée. Le gouvernement n’a pas défendu le droit au respect de la vie privée de milliers de Kenyans et Kenyanes qui ont, sans le savoir, vendu des informations personnelles à l’entreprise WorldCoin. Le Parlement a pris des mesures pour abolir la peine de mort.

CONTEXTE

La première année de la présidence de William Ruto a été marquée par une forte hausse du coût de la vie, qui a entraîné des manifestations à travers le pays.

Le 9 octobre, la Haute Cour a bloqué temporairement le déploiement de 1 000 agent·e·s de police pour aider la Police nationale d’Haïti à combattre la violence généralisée des gangs, en attendant l’examen d’une requête déposée par le parti Alliance troisième voie. Des organisations de la société civile se sont aussi opposées à ce déploiement, soulignant que la police kenyane avait couramment recours à une force illégale, en particulier à l’encontre de manifestant·e·s.

Quelques jours plus tard, le gouvernement a adopté une résolution approuvant le déploiement de forces de police en Haïti mais, le 24 octobre, la Haute Cour a prolongé le blocage. Le déploiement prévu, soutenu par le Conseil de sécurité des Nations unies et le gouvernement des États- Unis, a été approuvé par le Parlement en novembre mais n’avait pas été mis en œuvre à la fin de l’année.

EXÉCUTIONS EXTRAJUDICIAIRES ET DISPARITIONS FORCÉES

Au cours de l’année, 136 exécutions extrajudiciaires ont été recensées. La plupart des victimes sont mortes alors qu’elles étaient aux mains de la police ou ont été vues pour la dernière fois en garde à vue. Seules 28 affaires, dont certaines datant d’années précédentes, faisaient l’objet de procédures judiciaires.

Pratiquement aucun progrès n’a été réalisé pour amener les policiers à rendre des comptes pour ces exécutions extrajudiciaires, que ce soit dans l’affaire des 37 corps retrouvés dans la rivière Yala en 2022 ou dans d’autres affaires. Le gouvernement n’a pas appliqué la Loi relative au Service national des coroners, qui prévoyait notamment la création d’un bureau du coroner général chargé de coordonner les enquêtes sur les homicides inexpliqués.

En février, Lilian Waithera a été tuée par un inconnu alors qu’elle apportait son aide dans une affaire de lutte contre la corruption visant de hauts responsables du gouvernement. Un suspect a été arrêté, mais les autorités n’ont communiqué aucune autre information à propos de l’enquête sur cet homicide.

Dix hommes ont été soumis à une disparition forcée. Le gouvernement n’a pas fait le nécessaire pour favoriser la tenue dans les meilleurs délais d’enquêtes exhaustives, impartiales, indépendantes, transparentes et efficaces sur ces disparitions forcées ou ces exécutions extrajudiciaires, ni pour ratifier la Convention internationale contre les disparitions forcées.

LIBERTÉ D’EXPRESSION ET DE RÉUNION

Entre mars et juillet, la police a eu recours à une force excessive pour interrompre et empêcher des manifestations visant à dénoncer la hausse du coût de la vie ou des irrégularités présumées lors des élections de 2022. Selon l’Autorité indépendante de surveillance de la police, 57 personnes ont été tuées lors de ces manifestations. Amnesty International a étudié 30 de ces affaires et a attribué les décès, selon les cas, à des tirs à balles réelles, des traumatismes causés par un objet contondant ou l’inhalation de gaz lacrymogène. La police a aussi utilisé des canons à eau et commis d’autres violences contre les manifestant·e·s.

Pendant cette période, des secouristes, des journalistes, des défenseur·e·s des droits humains et des militant·e·s n’ont pas pu accéder à leurs lieux de travail en raison de routes barrées et de perturbations sur leurs trajets habituels. Le personnel soignant n’a donc pas pu fournir de soins d’urgence.

Les services de la police nationale ont refusé de prendre en compte plusieurs déclarations préalables de manifestation, et ont déclaré illégales des manifestations prévues. Le gouvernement a cherché à restreindre davantage le droit à la liberté de réunion pacifique en ajoutant à la Loi relative à l’ordre public de nouvelles dispositions affaiblissant les protections constitutionnelles.

En octobre, la police a interrompu au moins un rassemblement privé organisé pour dénoncer les attaques israéliennes en cours dans la bande de Gaza. Le gouvernement avait exprimé son soutien à Israël.

DROIT À LA VIE

Pendant six ans, les autorités n’ont pas enquêté sur les cas signalés de violences à l’égard de centaines de personnes, commises semble-t-il par l’Église internationale de Bonne Nouvelle, dans le comté de Kilifi. Des charniers ont été découverts en mars. Ils contenaient les corps d’au moins 428 personnes, dont au moins neuf enfants, selon le rapport d’une commission sénatoriale. Les médias ont imputé ces morts aux dirigeants de l’Église internationale de Bonne Nouvelle.

Des autopsies ont révélé que ces personnes présentaient des traces d’inanition, de traumatismes provoqués par un objet contondant et de strangulation. Certains des suspects présumés ont été arrêtés en avril et inculpés d’infractions liées au terrorisme. Parmi eux figurait le chef de l’Église internationale de Bonne Nouvelle, qui a par ailleurs été condamné à 12 mois d’emprisonnement pour avoir exploité un studio de tournage et produit des films sans autorisation.

DROIT À LA VÉRITÉ, À LA JUSTICE ET À DES RÉPARATIONS

Un certain de nombre de procès de policiers inculpés d’homicides illégaux n’ont pas avancé. Aucune audience n’avait encore eu lieu dans l’affaire concernant un policier accusé d’avoir tué deux garçons non armés dans le quartier d’Eastleigh, à Nairobi, en 2017. De même, le policier accusé d’avoir tué un adolescent de 14 ans, Yassin Moyo, en 2020, pendant le confinement dû à la pandémie de COVID-19, n’avait pas encore été jugé, l’audience ayant été repoussée plusieurs fois. L’agent inculpé pour l’homicide de Carilton Maina en 2018 à Laini Saba, dans le bidonville de Kibera, a vu son procès reporté plus de 10 fois. Evans Njoroge, étudiant à l’université de Meru, avait été abattu à bout portant lors d’une manifestation pacifique en 2018. Le procès du policier accusé de l’avoir suivi et tué n’était pas encore terminé.

Le Comité du dialogue national, formé pour entendre les points de vue de la population kenyane et conseiller le gouvernement sur des sujets d’intérêt national, y compris sur les manifestations « antigouvernementales » (voir Liberté d’expression et de réunion), n’a pas réellement traité la question des violences policières et des réparations pour les 57 personnes tuées et les nombreuses autres personnes blessées pendant les manifestations.

DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET DES PERSONNES BISEXUELLES, TRANSGENRES OU INTERSEXES

En février, la Cour suprême a reconnu le droit à la liberté d’association des personnes LGBTI et ordonné au Bureau de coordination des ONG d’enregistrer les associations défendant les droits des LGBTI, sans discrimination. Cette décision a suscité des réactions violentes, notamment des menaces de mort adressées à des membres de la communauté LGBTI.

En avril, Peter Kaluma, député de la ville de Homa Bay, a soumis au Parlement une proposition de loi sur la protection de la famille qui, si elle était adoptée, sanctionnerait encore davantage les relations sexuelles consenties entre personnes de même sexe, et prévoirait la peine de mort en cas d’« homosexualité aggravée ».

Edwin Chiloba, un homme gay, a succombé en janvier à des « violences conjugales », d’après la formulation utilisée par les autorités. Les services de l’État n’ont pas enquêté sur les allégations selon lesquelles il aurait été tué en raison de sa sexualité.

DROITS ÉCONOMIQUES ET SOCIAUX

Le gouvernement n’a pas tenu son engagement d’appliquer un barème progressif de l’impôt. En juin, le Parlement a adopté la Loi de finances 2023, qui introduisait de nouveaux impôts et augmentait le montant des cotisations santé et retraite pour les salarié·e·s. Ce texte prévoyait aussi un impôt sur le logement et une taxe sur la valeur ajoutée sur certains biens, qui doublait le prix des carburants et d’autres produits essentiels.

Le même mois, cette loi a été contestée devant la chambre des affaires constitutionnelles et des droits humains de la Haute Cour, qui a suspendu l’application de ces nouveaux prélèvements par le Trésor public. Cependant, le ministre du Trésor national et de la Planification économique a fait appel de cette décision, au motif qu’elle entraînerait une perte de 0,5 milliard de shillings kenyans (environ 3,25 millions de dollars des États-Unis) par jour. En juillet, la Cour d’appel a annulé la décision initialement rendue, ouvrant ainsi la voie à l’augmentation des prélèvements fiscaux.

DROIT À LA SANTÉ

Le gouvernement a proposé une augmentation de 2,75 % des cotisations santé de tous les salarié·e·s. Cette hausse était susceptible d’avoir des répercussions économiques négatives sur beaucoup de Kenyan·e·s.

Le 20 octobre, le gouvernement a lancé son programme de couverture sanitaire universelle afin de garantir des soins de santé accessibles à tous, conformément à son manifeste de 2022.

Le rapport de 2023 de la Commission d’éthique et de lutte contre la corruption (EACC) a fait état de cas de corruption dans les procédures de prestation de soins de santé.

DROIT À UN ENVIRONNEMENT SAIN

En juillet, le gouvernement a levé l’interdiction d’abattre des arbres à des fins commerciales qui avait été prononcée pour cinq ans. Ce revirement constituait une menace pour les forêts naturelles.

Le Kenya a accueilli en septembre la Semaine africaine du climat et le Sommet africain sur le climat, qui ont abouti à la Déclaration de Nairobi. Ce texte appelait à l’adoption de modèles financiers pour financer des initiatives visant officiellement à remédier au changement climatique, mais qui de bien des façons ne donnaient pas réellement la priorité aux droits humains ni à la justice climatique en Afrique.

La sécheresse dans le nord du Kenya a perduré pour la quatrième année consécutive, exposant cinq millions de personnes, dont des réfugié·e·s, au risque d’insécurité alimentaire aiguë.

Les personnes réfugiées dans les camps de Dadaab et de Kakuma étaient toujours à la merci d’événements climatiques extrêmes. Ces camps étaient situés dans des zones arides et semi-arides, et les réfugié·e·s y étaient enfermés dans des conditions de surpopulation extrême, sous un climat marqué par des températures élevées et de très faibles précipitations. Ils n’avaient qu’un accès très limité aux installations sanitaires, à l’eau, à la nourriture et aux autres produits de première nécessité.

DROIT AU RESPECT DE LA VIE PRIVÉE

En juin, le gouvernement kenyan avait numérisé 5 000 services gouvernementaux, suscitant des craintes au sein de la population concernant le respect de la vie privée. En juillet, la plateforme numérique du gouvernement a fait l’objet d’une attaque par déni de service (cyberattaque visant à rendre une machine ou un réseau inaccessible), ce qui a exacerbé les doutes quant à la capacité de l’État à garantir le respect de la vie privée.

En septembre, plus de 350 000 Kenyans ont « vendu » une image numérique de leur iris à l’entreprise américaine WorldCoin, en échange d’une somme de 7 000 shillings kenyans (environ 45 dollars américains) en cryptomonnaie. En octobre, un tribunal a ordonné l’interruption de cette pratique, et le Bureau de la commissaire à la protection des données a annulé l’enregistrement de la société WorldCoin, invoquant des infractions à la Loi de 2019 relative à la protection des données.

PEINE DE MORT

Cette année encore, les tribunaux kenyans ont prononcé des condamnations à mort. En septembre, un député a présenté au Parlement des propositions de modifications législatives visant à supprimer la peine de mort du droit kenyan. Toutefois, il n’a pas été proposé de modifier l’article 26(3) de la Constitution, qui permettait le recours à la peine capitale, ni la Loi relative aux forces armées.

La Commission parlementaire chargée de la justice et des affaires juridiques a néanmoins lancé une révision de la législation pour s’assurer que tous les textes prévoyant la peine de mort soient modifiés.

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