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© Marcus Perkins/Amnesty International

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Afghanistan

Chaque année, nous publions notre Rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde. Un an d’enquête, 155 pays analysés. Voici ce qu’il faut savoir sur les droits humains en Afghanistan en 2023.

Sur fond d’aggravation de la crise humanitaire et de soulèvements contre la situation économique, la population afghane a subi une répression extrême et de graves violations des droits humains. Les talibans ont imposé des restrictions encore plus draconiennes aux femmes et aux filles, visant, semble-t-il, à les effacer totalement de la sphère publique. Partout dans le monde, des voix se sont élevées pour demander que ces persécutions perpétrées pour des motifs d’ordre sexiste fassent l’objet d’une enquête pour crime contre l’humanité. La liberté d’expression a été réduite et les personnes qui émettaient pacifiquement des opinions critiques à l’égard des talibans étaient victimes de disparition forcée, de détention arbitraire, d’arrestation arbitraire, d’actes de torture ou d’autres mauvais traitements. La culture de l’impunité a perduré, même pour les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité. La liberté de religion s’est encore amenuisée sous le régime taliban. Certains groupes ethniques, notamment des minorités religieuses, ont été de plus en plus confrontés à la marginalisation, aux préjugés et aux expulsions forcées. Les talibans ont procédé à des exécutions et des châtiments corporels en public, comme la lapidation et la flagellation.

DROITS ÉCONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS

Dévastatrice, la crise humanitaire s’est aggravée au cours de l’année, notamment sous l’effet du régime taliban en place depuis 2021, de catastrophes naturelles telles que des séismes et des inondations, et de plusieurs années consécutives de sécheresse. Selon les estimations d’organismes des Nations unies, le nombre de personnes ayant besoin d’aide est passé de 18,4 millions en 2022 à près de 29 millions en août 2023. L’OMS a alerté sur le fait que des millions de personnes ayant peu ou pas accès aux soins médicaux et à la nourriture risquaient de souffrir de malnutrition et de maladie, dont 2,3 millions d’enfants menacés d’insécurité alimentaire aiguë.

À l’isolement sur le plan international et aux sanctions financières faisant suite à la prise du pouvoir par les talibans s’ajoutait le fait que le programme d’aide humanitaire des Nations unies dans le pays n’avait reçu que 34,8 % de son financement au mois de novembre. Les problèmes humanitaires étaient appelés à s’accentuer du fait de l’expulsion de nombreux réfugié·e·s afghans par le Pakistan. L’Iran et la Turquie ont aussi continué à expulser des réfugié·e·s afghans.

Le système de santé était toujours dépendant de l’aide internationale et demeurait fragile faute d’infrastructures et de ressources suffisantes.

DROITS DES FEMMES ET DES FILLES

Amnesty International et la Commission internationale de juristes (CIJ) ont conclu que les restrictions draconiennes imposées par les talibans aux droits des femmes et des filles, ainsi que le recours aux arrestations et détentions arbitraires, aux disparitions forcées, à la torture et à d’autres formes de mauvais traitements, pouvaient constituer le crime contre l’humanité de persécution pour des motifs d’ordre sexiste.

En avril, les talibans ont étendu l’interdiction faite aux femmes de travailler hors de leur domicile aux emplois exercés auprès des Nations unies, ce qui a rendu encore plus difficile la fourniture de l’aide humanitaire. Les femmes n’étaient toujours pas autorisées à travailler dans le secteur public, sauf dans des domaines comme la santé et l’enseignement primaire, ou encore dans certains établissements liés à la sécurité comme les aéroports et les prisons pour femmes. Il leur était interdit d’apparaître seules en public ou de se déplacer sans chaperon masculin sur une distance de plus de 72 kilomètres. Les salons de beauté ont été obligés à fermer à partir de juillet, ce qui a concerné quelque 60 000 entreprises appartenant à des femmes, selon les Nations unies.

Les femmes n’avaient toujours pas le droit de participer à des activités sportives ni de se rendre dans les jardins publics. Dans certaines provinces, dont celles de Hérat, les autorités talibanes ont annoncé avoir introduit des restrictions supplémentaires localisées, comme l’interdiction pour les femmes de se rendre seules au restaurant.

Les restrictions relatives à l’éducation des filles ont encore pris de l’ampleur. À l’interdiction pour les filles de poursuivre leurs études au-delà de l’école primaire est venue s’ajouter en juin une décision interdisant aux ONG internationales, notamment aux programmes dirigés par l’UNICEF, de dispenser des cours auprès des populations locales et les contraignant à passer la main à des organisations locales. Près de 4 500 femmes qui travaillaient dans le secteur de l’éducation auraient été licenciées en juin et juillet.

Plusieurs organismes des Nations unies ont signalé une augmentation des mariages d’enfant et des mariages forcés, ainsi que des violences fondées sur le genre et des féminicides, commis en toute impunité. Les talibans ont dissous progressivement le cadre institutionnel d’aide aux victimes de violences fondées sur le genre qui était en vigueur sous le gouvernement précédent, exposant ces femmes à la charia (loi islamique) et au risque de subir de nouvelles violences. Selon de multiples témoignages, de nombreuses femmes et filles souffraient de dépression, certaines allant jusqu’à mettre fin à leurs jours.

DISCRIMINATION

Les personnes appartenant aux groupes ethniques hazara, ouzbek, turkmène et tadjik étaient confrontées à une marginalisation croissante et il arrivait de plus en plus fréquemment que des membres de ces communautés soient expulsés de force de leur logement et de leurs terres. Des Baloutches auraient été détenus et soumis à des disparitions forcées.

Dans le cadre de plusieurs différends portant sur les terres et le bétail, les talibans ont statué en faveur des Kuchis, nomades appartenant au groupe ethnique pachtoune, et ont forcé des populations locales hazaras à verser une indemnisation dans des affaires de disparition de bétail remontant à plus de 20 ans. Des attaques de Kuchis contre des Hazaras ont été signalées à plusieurs reprises.

Des Hazaras ont été roués de coups et ont vu leurs biens (véhicules, maisons, cultures…) détruits, et six hommes de ce groupe ethnique ont été tués entre juin et août dans le district de Khas Uruzgan (province de l’Uruzgan). L’impunité pour ces crimes demeurait une source de préoccupation. En octobre, deux Hazaras auraient été tués à la frontière entre les districts de Lal wa Srajangal et de Dawlat Yar, dans la province du Ghor. Plusieurs homicides d’hommes hazaras, dont des dignitaires religieux, ont été signalés dans la province de Hérat en novembre et en décembre.

ATTAQUES ET HOMICIDES ILLÉGAUX

Cette année encore, des civil·e·s ont été attaqués dans tout le pays, bien que les violences liées au conflit aient diminué depuis la prise du pouvoir par les talibans. La Mission d’assistance des Nations unies en Afghanistan (MANUA) a dénombré 3 774 victimes civiles entre août 2021 et mai 2023 (1 095 morts et 2 679 blessés), dont la majorité ont été attribuées au groupe armé État islamique-Province du Khorassan (EI-K). Le 13 octobre, l’EI-K a revendiqué un attentat dans une mosquée chiite hazara de la province de Baghlan, qui a fait au moins 20 morts et plus de 60 blessés.

Amnesty International a indiqué en juin que, dans le contexte des affrontements avec le Front national de résistance (FNR), les talibans avaient infligé des châtiments collectifs à des civil·e·s dans la province du Panjshir, notamment des arrestations arbitraires visant un grand nombre de personnes à la fois, voire des villages entiers. Dans ce même rapport, l’organisation a confirmé que, entre le 12 et le 14 septembre 2022, les talibans avaient procédé à au moins 14 exécutions extrajudiciaires de membres du FNR faits prisonniers dans les districts de Khenj et de Darah, et à de nombreuses autres exécutions extrajudiciaires dans les districts de Khenj, Darah et Rokha. Le nombre total de victimes d’exécutions extrajudiciaires pendant cette période était estimé à 48 au moins, un chiffre probablement bien en deçà de la réalité.

Les exécutions extrajudiciaires à grande échelle de personnes associées à l’ancien gouvernement et de membres des groupes armés résistant aux talibans étaient toujours courantes et constituaient des crimes de guerre, commis en toute impunité. Entre août 2021 et juin 2023, la MANUA a recensé au moins 218 exécutions extrajudiciaires de personnes ayant travaillé dans les services de l’État ou les forces de sécurité sous l’ancien gouvernement.

PEINE DE MORT, TORTURE ET AUTRES MAUVAIS TRAITEMENTS

Les personnes soumises à des arrestations et détentions arbitraires et à des disparitions forcées étaient exposées au risque d’exécution, de décès en détention et de torture et autres mauvais traitements. Entre janvier 2022 et juillet 2023, la MANUA a dénombré 1 600 cas de violations des droits humains liées à la détention, dont la moitié relevait de la torture ou d’autres formes de traitements cruels, inhumains ou dégradants.

En juin, Amnesty International a découvert des éléments prouvant qu’au moins trois civils avaient été torturés à mort par les talibans après avoir été accusés d’allégeance au FNR dans la province du Panjshir en 2022. Comme dans d’autres affaires de torture, aucune enquête n’a semble-t-il été ouverte sur ces faits.

En mai, l’ONU s’est inquiétée de ce que les talibans continuaient de procéder à des exécutions et des châtiments corporels en public. Au moins une exécution publique a été signalée entre janvier et juin. La Cour suprême de facto a indiqué que des centaines de personnes avaient été condamnées, notamment à la lapidation, en vertu du principe de qisas (réparation). Cette année encore, des châtiments corporels s’apparentant à des actes de torture ou à d’autres mauvais traitements ont été infligés en public. Selon la MANUA, 274 hommes, 58 femmes et deux garçons ont été flagellés en public entre novembre 2022 et avril 2023, et, en mai, 103 personnes avaient été condamnées à de telles peines depuis le début de l’année.

LIBERTÉ DE RELIGION ET DE CONVICTION

Les minorités religieuses, notamment les communautés chiites, sikhs, hindoues, chrétiennes, ahmadies et ismaéliennes, étaient toujours en butte à la marginalisation, aux préjugés et à la discrimination.

Des restrictions ont été imposées à des fêtes et célébrations religieuses au nom de la sécurité. Elles ont concerné notamment la commémoration, au mois de juillet, de l’Achoura, fête célébrée principalement par les musulmans chiites. Le 28 juillet, dans la province de Ghazni, quatre Hazaras chiites, dont un enfant et une femme, ont été tués et six autres ont été blessés par les forces talibanes, qui ont tiré pour disperser des rassemblements organisés à cette occasion.

Les talibans ont exclu la jurisprudence chiite du système éducatif de sorte que l’enseignement religieux soit fondé exclusivement sur les préceptes de la branche sunnite de l’islam.

LIBERTÉ D’EXPRESSION

L’espace accordé à la liberté d’expression et à la liberté de la presse a continué de se réduire considérablement. En mars, au moins deux journalistes auraient été tués dans un attentat à la bombe. Des dizaines d’autres ont été arrêtés arbitrairement et harcelés pour avoir critiqué les talibans ou ne pas avoir respecté les règles imposées par ceux-ci. Au moins 64 journalistes ont été détenus par les talibans, pendant des durées diverses, entre août 2021 et août 2023. Mortaza Behboudi, journaliste franco-afghan, a été libéré après neuf mois de détention.

Plus de 80 % des femmes journalistes ont renoncé à exercer leur métier entre août 2021 et août 2023 en raison des restrictions croissantes. Les femmes apparaissant à la télévision avaient notamment l’obligation de se couvrir le visage.

Les talibans ont obligé la chaîne de radio et de télévision Hamisha Bahar à interrompre ses activités pendant 20 jours dans la province du Nangarhar parce qu’elle dispensait des cours de journalisme mixtes.

Entre la prise du pouvoir par les talibans en août 2021 et le mois d’août 2023, plus de la moitié des médias reconnus officiellement ont fermé leurs portes et les deux tiers des journalistes ont quitté leur emploi.

La répression visant les personnes qui critiquaient les talibans s’est poursuivie, notamment à l’encontre de celles et ceux qui exprimaient leur réprobation sur les réseaux sociaux. Parmi ces personnes figurait Rasoul Parsi, professeur d’université, qui a été arrêté en mars et se trouvait toujours en détention à la fin de l’année.

LIBERTÉ DE RÉUNION PACIFIQUE

Une force illégale et excessive a été employée face à des manifestations pacifiques, dont beaucoup de rassemblements organisés par des femmes. Selon les Nations unies, 95 manifestations menées par des femmes ont été recensées à travers le pays entre mars et juin. Les talibans auraient utilisé des armes à feu, des canons à eau et des pistolets à décharge électrique pour disperser des manifestations, dont le rassemblement organisé par des femmes le 18 juillet à Kaboul, la capitale, pour protester contre la fermeture obligatoire des salons de beauté.

Cette année encore, des manifestant·e·s ont été victimes d’arrestations arbitraires et de disparitions forcées, ce qui a poussé de nombreux mouvements à opter pour des protestations en ligne.

DÉFENSEUR·E·S DES DROITS HUMAINS

Comme les années précédentes, des militant·e·s, des défenseur·e·s des droits humains et des membres de la société civile ont été confrontés à des violences, des manœuvres d’intimidation et une surveillance, et beaucoup d’entre eux ont fait l’objet d’une arrestation arbitraire, d’une disparition forcée ou d’une détention illégale. Des personnes détenues ont été soumises à des actes de torture et à d’autres mauvais traitements, dont des violences sexuelles, selon les Nations unies.

Nida Parwani et Zhulia Parsi, deux défenseures des droits humains, ont été arrêtées respectivement les 19 et 27 septembre, ainsi que des membres de leur famille, et ont été libérées en décembre. Matiullah Wesa, militant œuvrant pour les droits en matière d’éducation, a été relâché en octobre après sept mois d’emprisonnement. Nargis Sadat et Parisa Azada Mubariz ont été arrêtées arbitrairement par les talibans, puis libérées après avoir été incarcérées un certain temps, tandis que de nombreux autres militant·e·s et journalistes se trouvaient toujours derrière les barreaux.

DROITS DES PERSONNES RÉFUGIÉES

La peur omniprésente d’être persécutées par les talibans a conduit des milliers de personnes à quitter le pays. Beaucoup craignaient aussi les attaques d’acteurs non étatiques comme l’EI-K. Plus de 1,4 million d'Afghan·e·s réfugiés au Pakistan risquaient d’être renvoyés de force dans leur pays. Selon les chiffres arrêtés en décembre, l’État pakistanais avait ainsi déjà renvoyé plus de 490 891 d’entre eux. De nombreux autres ont été expulsés par l’Iran et la Turquie, ou risquaient de l’être.

DROITS DES PERSONNES DÉPLACÉES

L’Afghanistan comptait l’une des plus importantes populations de personnes déplacées au monde, résultat de nombreuses années de conflit. Les personnes renvoyées du Pakistan et d’autres pays devaient faire face aux rudes conditions hivernales sans disposer des ressources nécessaires, notamment en termes de logement, d’accès à l’emploi, de soins médicaux et de moyens de subsistance.

DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET DES PERSONNES BISEXUELLES, TRANSGENRES OU INTERSEXES

Les relations consenties entre personnes de même sexe demeuraient illégales et passibles de la peine de mort. Les personnes LGBTI continuaient de faire l’objet de nombreuses violations des droits humains commises par les talibans, telles que la discrimination, des violences ciblées, des menaces et la détention arbitraire. Craignant pour leur vie, beaucoup vivaient dans la clandestinité. Par ailleurs, des cas de mariage forcé de personnes LGBTI ont été signalés.

IMPUNITÉ

La culture de l’impunité demeurait généralisée, en particulier pour les crimes de droit international. Les conclusions des enquêtes en cours menées par la CPI n’avaient pas été rendues publiques à la fin de l’année. Amnesty International a appelé le Conseil des droits de l’homme [ONU] à créer un mécanisme international indépendant d’obligation de rendre des comptes, qui recueillerait et conserverait des preuves en vue d’éventuelles poursuites pénales, complétant ainsi le mandat du rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en Afghanistan.

En juillet, le rapporteur spécial a déclaré que les graves discriminations que subissaient les femmes et les filles s’apparentaient au crime contre l’humanité de persécution pour des motifs d’ordre sexiste. Il a ajouté que l’objectif des talibans de dominer totalement les femmes et les filles en fondant leur régime sur une discrimination systémique pouvait être qualifié d’« apartheid sexiste ».

L’accès de la population afghane à la justice était fortement restreint. Les talibans ont abrogé les lois jusqu’alors en vigueur ou en ont suspendu l’application, au profit d’une interprétation stricte de la charia. Ils ont également remplacé les professionnel·le·s de la justice et du droit qui étaient en place par des candidats de leur choix.

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