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Manifestation pour la liberté d'expression en Turquie. Rome juillet 2017 © Amnesty International

Manifestation pour la liberté d'expression en Turquie. Rome juillet 2017 © Amnesty International

Liberté d'expression

Pourquoi l'arrestation de formateurs en technologies de l'information en Turquie nous concerne tous

Parmi les défenseurs des droits humains arrêtés le 5 juillet en Turquie avec la directrice d'Amnesty en Turquie Idil Eser, figure Ali Gharavi, un consultant en sécurité informatique de nationalité suédoise. Un hasard ? Bien au contraire.

Ecrit par Tanya O'Carroll, conseillère en technologie et droits humains à Amnesty International

Lorsque les collègues d'Ali Gharavi et de Peter Steudtner ont appris qu'ils avaient été arrêtés en Turquie, avec des membres de six ONG turques bien connues, ils ont pensé qu'il s'agissait d'une erreur. Ali, Suédois, consultant en stratégies des technologies de l'information, et Peter, Allemand, formateur spécialisé dans la non-violence et le bien-être, s'étaient rendus à Istanbul pour animer un atelier comme ils l'avaient fait à de nombreuses reprises dans des pays aussi divers que le Mexique et le Pakistan. C'est la première fois que leur travail les conduit au poste de police.

Pourtant, l'arrestation de ces deux formateurs ne doit rien au hasard. Après 12 jours de garde à vue, ils ont été placés en détention provisoire, avec quatre autres personnes, dont Ýdil Eser, directrice d'Amnesty International Turquie. Ils doivent répondre d’accusations absurdes et sans fondement concernant des liens avec le terrorisme, et font face à une longue détention provisoire.

Signer la pétition : liberté pour la directrice générale d'Amnesty Turquie et des défenseurs des droits humains dans ce pays

L'atelier animé par Ali et Peter, axé sur la sécurité et le bien-être des défenseurs des droits humains, couvrait également la question de la sécurité numérique – ou comment être en sécurité en ligne. Pour les autorités turques, de moins en moins tolérantes vis-à-vis de la dissidence, c’est un acte condamnable, qui a sans doute placé les formateurs dans le collimateur du gouvernement à la minute même où ils ont posé le pied sur le sol turc. Un éditorial publié dans le quotidien étatique turc Türkiye une semaine après l'arrestation d'Ali et de Peter relatait avec une sincérité déconcertante que « les services de renseignement ont suivi [l'atelier] dès sa phase de préparation […] Ils savaient absolument tout ».

Ali et Peter sont décrits comme les instigateurs d'un « soulèvement », la formation sur « les équipements de sécurité, les applications sécurisées et les communications sécurisées pour mobiles » étant citée à titre de preuves. Ces allégations ne tiennent pas debout. Ali est l'un de mes amis et collègues, et au fil des ans j'ai eu la chance d'assister à certains de ses ateliers. Loin des « formations clandestines high-tech » issues de l'imagination du gouvernement turc, ces ateliers portent sur les rudiments permettant de sécuriser ses activités en ligne : les meilleures pratiques, simples, comme l'installation d’une authentification à deux facteurs sur les réseaux sociaux ou la création de mots de passe robustes.

Dans le monde moderne, protéger des données sensibles contre une surveillance ou un accès intrusifs fait partie intégrante du monde du travail, mais c'est d’autant plus important pour ceux qui, parce qu’ils défendent les droits fondamentaux, sont devenus des cibles involontaires de l'État. Au cours des 12 mois qui ont suivi la violente tentative de coup d'État en juillet 2016, la situation des droits humains en Turquie s'est rapidement dégradée et les citoyens ont vu nombre de leurs droits fondamentaux piétinés. Les journaux, les universités et les ONG ont perdu quantité d'employés, la liberté d'expression et la défense des droits humains étant requalifiées en infractions.

L'incarcération d'Ali et de Peter montre que le filet s'étend désormais aux experts en technologie. Une semaine après leur interpellation, des mandats d’arrêt ont été délivrés contre plus de 100 employés du secteur informatique, dont d'anciens employés du TÜBITAK, conseil de recherche scientifique en Turquie, et de la direction des télécommunications.

Les autorités turques se méfient depuis longtemps des communications en ligne : elles ont à plusieurs reprises bloqué des réseaux sociaux comme Facebook, Twitter et YouTube, et des milliers de sites sont bloqués dans le pays. En 2015, le gouvernement a placé en détention trois journalistes de VICE pour des soupçons de terrorisme, en raison de leur utilisation d’un logiciel de cryptage.

Pourtant, les autorités turques, loin d'être technophobes, ont rapidement su tirer avantage des possibilités de surveillance qu'offrent les communications numériques. Fait inquiétant, le Département du Commerce international du Royaume-Uni a publié des informations en juillet (en réponse à une demande d'accès à l'information déposée par Motherboard) montrant qu'il a accordé des licences à un organe chargé du maintien de l’ordre public en Turquie pour un logiciel d'interception de télécommunications au premier trimestre 2017. Et ce en violation flagrante des règles en vigueur, puisque la purge en Turquie battait déjà son plein lorsque les licences ont été accordées. Pour le moins, le gouvernement britannique devrait insister auprès d'Ankara, la capitale turque, pour obtenir la garantie que ce logiciel n'est pas utilisé dans le cadre de la répression contre les activités en faveur des droits humains.

La Turquie n’est pas la seule à s’en prendre à la sécurité numérique et au cryptage. La technologie multiplie les possibilités des citoyens en matière de liberté d'expression et les réactions ne se font pas attendre : les gouvernements à travers le monde bloquent ou criminalisent l'usage d'applications de sécurité pour bâillonner les idées qui leur déplaisent.

L'Égypte et les Émirats arabes unis ont déjà bloqué Signal, application de messagerie cryptée, tandis qu'au Maroc, sept journalistes sont jugés pour avoir proposé un programme de formation au journalisme citoyen qui facilitait la publication anonyme grâce à l'utilisation d'une application pour smartphone. Alors que de plus en plus de facettes du travail en faveur des droits humains ont migré vers la sphère numérique, c’est également le cas des ripostes visant à le museler.

En détenant les participants à l'atelier, les autorités turques démontrent précisément l'importance de la sécurité numérique et de l'encodage. La rapidité avec laquelle les droits fondamentaux déclinent en Turquie réfute parfaitement l'argument selon lequel ceux qui n'ont rien à cacher n'ont pas besoin de défendre leur vie privée. La nécessité de cacher vos activités dépend du bon vouloir de votre gouvernement – et les gouvernements peuvent se montrer capricieux, comme le découvre la société civile turque assiégée.

Lorsqu'ils ont été emmenés par la police, nos amis Ali et Peter formaient et aidaient des défenseurs turcs des droits humains à comprendre et protéger leurs droits numériques dans ce nouvel environnement inquiétant et mouvant. Leur détention rappelle qu'aucun d'entre nous ne peut se permettre d'être complaisant quant à sa vie privée en ligne et que les écrans de nos smartphones et de nos ordinateurs portables sont les nouvelles frontières de la bataille pour les droits fondamentaux.

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