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Portrait d'Oyoub Titiev © Alexandra Ponomareva / Amnesty International

Portrait d'Oyoub Titiev © Alexandra Ponomareva / Amnesty International

Liberté d'expression

Oyoub Titiev : un portrait amical

Oyoub Titiev est menacé depuis de nombreuses années en raison de son travail de défenseur des droits humains. Son histoire est racontée par son collègue Alexandre Tcherkassov.

Mise à jour du 18/03/2019 : Le 18 mars, le tribunal de la ville de Chali, en Tchétchénie, a condamné Oyoub Titiev à quatre ans de colonie pénitentiaire. Malgré les nombreuses incohérences dans les témoignages et les preuves à charge fabriquées de toute pièce (ce qui a été démontré par les avocats de la défense), Oyoub a été reconnu coupable de «possession de drogue» au titre de l’article 228, deuxième partie du Code pénal russe. Avant la condamnation, il a passé un an et deux mois derrière les barreaux en détention provisoire.

Je connais Oyoub depuis très longtemps. Nous avons travaillé ensemble au Centre mémorial de défense des droits humains, un réseau d’organisations et d’associations travaillant sur des violations des droits humains commises actuellement et par le passé en Russie.

Je suis basé à Moscou, et Oyoub travaille à Grozny, en Tchétchénie, depuis presque dix ans. Il est né en Asie centrale, la région où les Tchétchènes ont été exilés en 1944. Je me souviens qu’il m’avait dit que ses ancêtres étaient parmi les premières personnes qui se sont installées dans leur village, au pied du Caucase, et que leur maison était en plein centre du village.

Le passé d’Oyoub est commun à de nombreuses personnes tchétchènes qui ont vécu en URSS : après la mort de Staline, sa famille a quitté l’Asie centrale et est rentrée chez elle. Il a ensuite servi dans l’armée soviétique et a obtenu un diplôme d’études supérieures.

Oyoub a toujours aimé le sport, et c'était un professeur doué. Il était professeur d’éducation physique dans une école, et il a créé un club de sport dans lequel des garçons apprenaient la boxe. Il était très fier du club et suivait les progrès de ses anciens élèves.

Malheureusement, une génération de ses élèves a été recrutée par les forces armées séparatistes et a été tuée dans les guerres de Tchétchénie. C’est peut-être son sentiment de responsabilité envers eux qui a poussé Oyoub à devenir un défenseur des droits humains.

Dans les années 1990, Oyoub a déménagé à Grozny, où la guerre faisait rage. Il était chargé d’identifier et d’évacuer les corps des personnes tuées pendant les combats. Ces événements terrifiants étaient la conséquence d’opérations de « nettoyage », une campagne d’arrestations et de disparitions forcées de masse menée par les forces fédérales.

À l’époque, quand il semblait qu’on ne pouvait rien faire pour protéger ces personnes, il fallait que quelqu’un intervienne pour recueillir des informations pour retrouver et libérer les personnes qui avaient disparu. Pour cette tâche, il fallait que quelqu’un prenne ses responsabilités et s’engage pour ses élèves et pour tout le monde. C’est Oyoub qui a mené ce courageux travail.

En 2000, Natalia Estemirova, qui travaillait pour le bureau de Memorial à Grozny, s’est rendue à Kourtchaloï, où Oyoub vivait avec sa famille. Elle a recueilli des éléments de preuve d’enlèvements, d’homicides et de pillages commis par l’armée pendant l’opération de « nettoyage » menée dans le village.

Oyoub s’est porté volontaire pour l’aider. Il a alors étendu son travail à tout le district de Kourtchaloï, puis aux régions voisines. En 2002, il a été embauché par Memorial pour travailler dans un de ses bureaux de la ville de Goudermes. En raison de son travail de défense des droits humains, Oyoub a reçu plusieurs menaces, notamment de la part du président tchétchène Ramzan Kadyrov.

En juillet 2009, Natalia Estemirova a été enlevée et tuée à Grozny. Le travail de Memorial en Tchétchénie a été suspendu. Le responsable du bureau de Memorial à Grozny a dû quitter la Tchétchénie en raison des menaces contre lui et sa famille. Mais Oyoub Titiev et d’autres membres du personnel ont demandé à la direction de Memorial à Moscou de continuer le travail de l’organisation en Tchétchénie, et ce travail a repris en décembre.

Pendant ce temps, les menaces ont continué. En 2010, Ramzan Kadyrov s’est exprimé à la télévision tchétchène et a déclaré qu’« un homme et une femme du bureau de Memorial à Goudermes étaient des ennemis du peuple, de la loi et de l’État », une référence claire à Oyoub et sa collègue.

Les personnes qui connaissent la vie de tous les jours en Tchétchénie comprennent que de telles déclarations de la part de Kadyrov s’apparentent à des menaces sérieuses. En réponse, Oyoub a pris davantage de responsabilités : il est devenu responsable du bureau de Memorial à Grozny, en Tchétchénie.

Quatre ans plus tard, pendant une réunion avec des membres des forces de sécurité, Ramzan Kadyrov a fait part de son « dernier avertissement » et a déclaré qu’il n’y en aurait « pas d’autre ». À l’époque, Oyoub gérait l’organisation et conseillait des personnes qui s’adressaient à Memorial pour faire part de leurs plaintes. Il fournissait une assistance juridique et rédigeait des rapports sur des atteintes aux droits humains. Il se rendait très souvent sur les lieux où des atteintes étaient commises en Tchétchénie, s’entretenait avec les victimes de torture et de violences et avec les proches de personnes qui avaient disparu après avoir été enlevées par des hommes armés et conduites dans des lieux inconnus.

Oyoub cherchait des témoins, en pensant toujours en premier lieu à assurer la sécurité de toutes les personnes avec qui il s’entretenait.

Les gens qui viennent à Grozny aujourd’hui voient de beaux immeubles résidentiels de quarante étages et des hôtels cinq étoiles très chers. Mais Oyoub a connu une Tchétchénie complètement différente.

Pendant la première guerre de Tchétchénie (1994-1996), les affrontements avaient principalement lieu dans les plaines, mais la seconde guerre de Tchétchénie (1999-2000) a touché la population des régions montagneuses.

De nombreuses personnes ont perdu leurs logements et leurs troupeaux et n’avaient plus rien à manger. Oyoub racontait souvent qu’une dizaine d’années auparavant, il s’était rendu dans un village,dans les montagnes, où des personnes déplacées des villages voisins s’étaient réfugiées après avoir été victimes de violents bombardements. Oyoub et ses collègues étaient bénévoles pour le Comité de salut public, une organisation humanitaire, et apportaient des repas, de l’eau et des médicaments aux personnes réfugiées dans le village. L’école du village avait été complètement détruite.

J’ai immédiatement compris que nous devions les aider. Nous avons donc apporté de nouveaux livres d’école, des machines à coudre et des ordinateurs. Comme j’étais un ancien professeur d’EPS et entraîneur pour les enfants, j’étais convaincu que le sport était très important pour les jeunes. Nous avons apporté de l’équipement sportif. Nous avons reconstruit les bâtiments détruits et construit de nouveaux logements pour des professeurs. Je savais que c’était important non seulement pour ce village, mais également pour toute la Tchétchénie.

La dernière menace qu’Oyoub a reçue remonte à décembre 2017, lorsque le président du Parlement tchétchène a accusé les « pseudo-défenseurs qui travaillent dans plusieurs commissions et centres et les journalistes des médias les plus malhonnêtes » de provoquer des sanctions internationales contre des hauts représentants, notamment le président de la Tchétchénie.

Les comptes des réseaux sociaux de Kadyrov avaient été bloqués dans le cadre de ces sanctions. Deux semaines après ces déclarations, Oyoub Titiev a été arbitrairement arrêté.

Au début de l’année 2018, il a été arrêté au volant de sa voiture par la police et détenu au secret pendant plusieurs heures. La police a affirmé avoir trouvé de la drogue dans sa voiture, mais la perquisition a été entachée de vices de procédure tellement graves qu’elle a dû être reconstituée quelques heures plus tard, en présence de « témoins ».

S’il est déclaré coupable, Oyoub encourt dix ans de prison, mais il est clair qu’il s’agit une fois de plus d’une attaque destinée à le réduire au silence et à entraver son travail de défense des droits humains.