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Mobilisation citoyenne contre la réforme des retraites, 17 avril 2023 © Geoffroy Van der Hasselt / AFP

Mobilisation citoyenne contre la réforme des retraites, 17 avril 2023 © Geoffroy Van der Hasselt / AFP

Liberté d'expression

Est-il encore possible de critiquer la politique du gouvernement sans crainte de sanctions ?

Avec l’ONG Human Rights Watch, nous demandons au gouvernement français et au président Emmanuel Macron de protéger l'espace de la société civile, plutôt que de réprimer celles et ceux qui défendent les droits humains ou sociaux. Cette tribune a été publiée dans Libération le 28 avril 2023. 

Depuis plusieurs années, nous alertons le gouvernement français sur la nécessité de protéger la liberté d’association et de garantir un environnement sûr et favorable pour les personnes, groupes et organisations de la société civile qui se mobilisent pacifiquement pour les droits humains.

Aujourd’hui, nous nous alarmons de ces restrictions de l’espace de la société civile en France qui compromettent la protection des droits.

Depuis plusieurs années, nous dénonçons des entraves au droit de manifester en France ainsi qu’une politique et des pratiques de maintien de l’ordre qui se traduisent notamment par un recours excessif à la force, à un usage abusif d’armes dangereuses et à des arrestations abusives documentées par de nombreuses organisations de défense des droits.

Nous avons aussi exprimé nos vives inquiétudes quant à des lois qui menacent certaines libertés fondamentales. A cela s’ajoutent des propos de la part de responsables gouvernementaux s’en prenant ouvertement au travail des organisations de défense des droits. Aujourd’hui, nous nous alarmons de ces restrictions de l’espace de la société civile en France qui compromettent la protection des droits.

Aujourd’hui, nous nous demandons, s’il est encore possible de critiquer la politique du gouvernement français sans crainte de sanctions ou de représailles.

Les droits humains ne peuvent être respectés sans un espace sûr et ouvert pour la société civile, dans lequel celle-ci voit garanti son droit aux libertés d’expression, de réunion et d’association sur lequel l’État n’exerce pas de contrôle et d’interférence excessifs. Les libertés fondamentales sont un pilier de l’État de droit et sont protégées par le droit international. Dans une démocratie, les organisations de la société civile ont une fonction essentielle de critique du pouvoir exécutif.

Pourtant, cet espace se rétrécit dangereusement en France, notamment lorsqu’il s’agit de défendre certains groupes ou causes spécifiques.

Une remise en question inquiétante des organisations de défense des droits

Selon des propos émanant de responsables des gouvernements successifs sous la présidence d’Emmanuel Macron, venir en aide aux personnes migrantes et réfugiées à Calais, à la frontière franco-italienne ou en mer Méditerranée reviendrait à « faire le jeu des passeurs » ; lutter contre les discriminations à l’encontre des personnes musulmanes en France s’apparenterait à de la «propagande islamiste» ; dénoncer les dérives de la politique française du maintien de l’ordre attiserait les tensions sociales et relèverait du « terrorisme intellectuel ».

Les récents propos du ministre de l’Intérieur remettant en question les fonds publics à la Ligue des droits de l’homme (LDH) pour ses critiques des pratiques abusives des forces de police lors des récentes manifestations sont une nouvelle remise en question inquiétante du travail indispensable des organisations indépendantes de défense des droits.

Ces discours de la part de responsables gouvernementaux dénigrant et stigmatisant les organisations de défense des droits visent à délégitimer les causes pour lesquelles elles se mobilisent et portent préjudice aux personnes qu’elles défendent et dont elles font entendre les voix.

Ces discours de la part de responsables gouvernementaux dénigrant et stigmatisant les organisations de défense des droits visent à délégitimer les causes pour lesquelles elles se mobilisent et portent préjudice aux personnes qu’elles défendent et dont elles font entendre les voix. Ils ont également accompagné l’adoption de mesures qui portent atteinte à la liberté d’association.

Ainsi, la loi « confortant le respect des principes de la République », dite loi séparatisme, a élargi les motifs de dissolution des associations et facilite le retrait de subventions publiques. L’espace dévolu à la société civile française doit rester un espace où il est possible d’apporter assistance aux personnes vulnérables ainsi que d’alerter, de dénoncer ou de critiquer les politiques et agissements du gouvernement ou de certains de ses agents sans avoir à en payer le prix.

La grave dérive du maintien de l’ordre dénoncée depuis plusieurs années

Il appartient au président de la République et au gouvernement de protéger cet espace et ces libertés, de garantir à chacun et chacune la possibilité d’exprimer pacifiquement ses opinions et revendications, y compris dans la rue. Pourtant, depuis maintenant plusieurs années, nous voyons se déployer une stratégie de maintien de l’ordre brutale et qui restreint de plus en plus le droit de se réunir pacifiquement. D’innombrables témoignages et images circulant sur les réseaux sociaux ou diffusées par les médias traditionnels suggèrent que les forces de l’ordre ont eu recours à une réponse apparemment excessive, disproportionnée et indiscriminée lors des récentes manifestations en France.

Depuis maintenant plusieurs années, nous voyons se déployer une stratégie de maintien de l’ordre brutale et qui restreint de plus en plus le droit de se réunir pacifiquement.

Cela n’est pas nouveau : pendant le mouvement des gilets jaunes, au moins 2 500 manifestants ont été blessés et des dizaines ont été éborgnés ou amputés par des tirs de lanceurs de balles de défense (LBD) ou de grenades, selon le décompte du journaliste indépendant David Dufresne.

Effrayés par les multiples témoignages des personnes ayant subi ces méthodes brutales, nombreux sont celles et ceux qui renoncent aujourd’hui à se rendre en manifestation et exprimer leur opinion. La grave dérive du maintien de l’ordre depuis plusieurs années a été dénoncée par les grandes organisations de défense des droits humains, la Défenseure des droits, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), ainsi que par les Nations unies et le Conseil de l’Europe. Pourtant le président Emmanuel Macron et son gouvernement continuent à nier ces constats et ne prennent pas les mesures nécessaires pour prévenir ces abus.

Les objectifs de justice, de dignité et d’égalité ne peuvent être atteints que lorsque les individus et les associations ont la possibilité de s’organiser, de plaider et d’agir en faveur des droits humains, et ont l’espace pour le faire. Au lieu de stigmatiser, sanctionner, criminaliser ou réprimer celles et ceux qui défendent les droits humains ou exercent pacifiquement leur droit de manifester, nous exhortons aujourd’hui le président de la République et le gouvernement à tout mettre en œuvre pour protéger les libertés d’association et de manifestation et l’espace de la société civile en France : ils sont les conditions essentielles de la protection des droits de toutes et tous et de la vitalité de la démocratie.