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Après un bombardement aérien sur Sanaa, Yemen. 12 juin 2015 © Mohammed Hamoud/Anadolu Agency/Getty Images

Après un bombardement aérien sur Sanaa, Yemen. 12 juin 2015 © Mohammed Hamoud/Anadolu Agency/Getty Images

Conflits armés et protection des civils

L’enquête douteuse de l’Arabie saoudite sur sa coalition

L’Équipe commune d’évaluation des incidents (JIAT), mécanisme d’enquête de la coalition menée par l’Arabie saoudite, a publié une série de conclusions au sujet de certaines frappes aériennes. Une enquête peu transparente et douteuse.

Entre mars 2015 et octobre 2016, 4 125 civils ont été tués et 7 207 autres blessés au Yémen, selon le haut-commissariat de l’ONU aux droits de l’homme, qui a écrit dans un rapport présenté en août 2016 que les frappes aériennes étaient la « première cause de pertes civiles » au cours de l’année écoulée.

La transparence, l’indépendance et l’efficacité en question

Après avoir étudié toutes les conclusions juridiques et factuelles mises à disposition du public, Amnesty International a écrit lundi 16 janvier au général de corps d’armée Mansour Ahmed Al Mansour, conseiller juridique de la JIAT, pour lui faire part de ses doutes quant à la conformité des enquêtes de ce mécanisme aux normes internationales, notamment celles de transparence, d’indépendance, d’impartialité et d’efficacité. L’organisation a par ailleurs demandé des informations complémentaires concernant la méthodologie et le mandat de la JIAT.

Depuis le 25 mars 2015, Amnesty International a recensé au moins 34 frappes aériennes dans six gouvernorats du Yémen (Sanaa, Saada, Hajjah, Hodeidah, Taizz et Lahj), imputables à la coalition dirigée par l’Arabie saoudite. Ces frappes ont fait 494 morts (dont au moins 148 enfants) et 359 blessés parmi la population civile.

Certaines de ces attaques ont été commises sans discernement, tuant et blessant des civils, et d’autres semblent avoir délibérément visé des civils et des biens de caractère civil tels que des hôpitaux, des établissements scolaires, des marchés et des mosquées, et causé des dégâts sur des biens civils, ce qui en ferait des crimes de guerre. Human Rights Watch, l’organisation Mwatana pour les droits humains (l’une des principales organisations yéménites de défense des droits humains) et les Nations unies ont recensé plusieurs dizaines d’autres frappes aériennes vraisemblablement illégales.

Lire aussi : les hôpitaux pris pour cibles au Yemen

Peu d’affaires faisant l’objet d’une enquête

Au 16 janvier 2017, près d’un an après l’annonce de la création de la JIAT, seulement 14 affaires ont fait l’objet d’une enquête d’après les informations mises à disposition du public. La JIAT a recommandé que des réparations soient accordées aux victimes dans trois de ces affaires et, dans deux cas, que des mesures appropriées soient prises contre les responsables présumés. Malgré ces recommandations, à la connaissance d’Amnesty International, aucune initiative n’a été entreprise pour proposer des recours aux victimes ou veiller à ce que les personnes soupçonnées de responsabilité pénale dans des crimes de droit international soient poursuivies. Par ailleurs, on ne sait toujours pas si les membres de la coalition ont revu leurs règles d’engagement à la suite des recommandations émises par la JIAT.

Dans les conclusions qu’elle a publiées, celle-ci dégage la coalition menée par l’Arabie saoudite de toute responsabilité dans 10 des 14 frappes aériennes sur lesquelles elle a enquêté, en présentant une analyse juridique et factuelle qui contredit les conclusions d’Amnesty International, des Nations unies et d’autres organisations de défense des droits humains, dont Human Rights Watch et Médecins sans Frontières (MSF).

Un manque de respect des normes internationales

Nous avons également examiné et évalué les réponses fournies par le général Ahmed al Asiri au sujet des conclusions de l’organisation sur l’utilisation par la coalition de bombes à sous-munitions fabriquées au Royaume-Uni.

Il est possible que la JIAT ne respecte pas les normes internationales sur un certain nombre de points élémentaires, notamment les suivants :

Mandat : Le mandat de la JIAT reste peu clair : on ne sait pas ce qu’elle fera de ses conclusions, si elle identifiera les responsables présumés, comment elle s’assurera que les personnes soupçonnées de responsabilité pénale dans des crimes de droit international soient poursuivies, et si elle est habilitée à identifier des violations relevant de pratiques systématiques.

Autorité : On ignore de quels pouvoirs dispose la JIAT pour convoquer des témoins, obtenir des documents et d’autres éléments, s’assurer la coopération des représentants de l’État et des forces armées des membres de la coalition ; si elle a le droit de demander aux membres de la coalition de suspendre de leurs fonctions les personnes impliquées dans les affaires sur lesquelles elle enquête ; si ses recommandations sont contraignantes pour les membres de la coalition et s’il existe un comité chargé de contrôler la mise en œuvre de ces recommandations. Si ces pouvoirs étaient absents, il s’agirait d’une grave lacune compromettant la possibilité pour la JIAT d’aider les victimes et leurs proches à obtenir vérité, justice et réparation.

Transparence : Les informations relatives à la JIAT ne sont pas mises à disposition du public et sa méthodologie n’est pas bien définie. Amnesty International regrette que les informations suivantes ne soient pas rendues publiques : les qualifications de ses membres, les termes précis de son mandat et un historique détaillé de ses travaux réalisés jusqu’à présent (publiés et non publiés) ou un programme de travail. L’organisation n’a pas pu trouver d’explications détaillées sur les règles appliquées par la JIAT pour surveiller, signaler et vérifier les allégations faisant état de violations.

Impartialité : À l’heure actuelle, la JIAT ne présente pas les critères de sélection des cas sur lesquels elle enquête. Amnesty International craint donc que les conclusions juridiques et factuelles de la JIAT ne traduisent une volonté de dégager les membres de la coalition de toute responsabilité. La JIAT ne cite pas ses sources, n’indique pas comment elle vérifie les informations factuelles et si elle a interrogé des victimes, des témoins et du personnel médical. À la connaissance d’Amnesty International, elle n’a encore enquêté sur aucune attaque commise avec des bombes à sous-munitions.

Les États ont l’obligation de permettre aux victimes de violations flagrantes des droits humains au regard du droit international d’avoir accès à un recours effectif.

Cette obligation comporte trois volets :

Justice : enquêter sur les violations signalées aux mains de leurs ressortissants et de leurs forces armées et, si suffisamment d’éléments de preuve recevables sont recueillis, poursuivre les auteurs présumés dans le cadre de procès équitables. Selon le principe de compétence universelle, tous les États ont le droit d’enquêter sur les crimes de guerre et, lorsqu’il existe assez d’éléments de preuves, d’en poursuivre les responsables présumés ;

Vérité : établir la vérité sur les violations des droits humains ;

Réparation : offrir pleinement et réellement réparation aux victimes et à leurs familles, sous les cinq formes suivantes : restitution, indemnisation, réadaptation, satisfaction et garanties de non-répétition.