Aller au contenu
Agir
Faire un don
ou montant libre :
/mois
Grâce à la réduction d'impôts de 66%, votre don ne vous coûtera que : 5,1 €/mois
Des familles irakiennes près du village Al-Sejar, dans la province Anbar s'enfuyant de la ville de Fallujah, le 27 mai 2016, pendant une opération des forces progouvernementales pour reprendre la ville à l'État Islamique.
Des familles irakiennes près du village Al-Sejar, dans la province Anbar s'enfuyant de la ville de Fallujah, le 27 mai 2016, pendant une opération des forces progouvernementales pour reprendre la ville à l'État Islamique.© AFP/Getty Images

Des familles irakiennes près du village Al-Sejar, dans la province Anbar s'enfuyant de la ville de Fallujah, le 27 mai 2016, pendant une opération des forces progouvernementales pour reprendre la ville à l'État Islamique.© AFP/Getty Images

Conflits armés et protection des civils

Irak : fuir l'Etat Islamique, devenir une cible

Alors que l’opération militaire pour reprendre la ville de Mossoul au groupe armé État islamique (EI) a commencé, les abus commis par des milices paramilitaires et les forces gouvernementales à l’encontre des civils fuyant l’EI sont à craindre.

Notre rapport ‘Punished for Daesh’s crimes’: Displaced Iraqis abused by militias and government forces', dénonce les traitements infligés aux civils fuyant des territoires aux mains de l’EI. Des traitements qui font redouter un risque de violations de masse.

Ce rapport s’appuie sur des entretiens réalisés avec plus de 470 anciens détenus, témoins et parents de personnes tuées, disparues ou incarcérées, ainsi qu’avec des fonctionnaires, des militants, des travailleurs humanitaires etc..

Fuir l’EI, devenir une cible pour les milices

Après avoir échappé aux horreurs de la guerre et à la tyrannie de l’EI, des Arabes sunnites d’Irak sont attaqués par les milices et les forces gouvernementales, qui les soupçonnent d’être les complices des crimes de l’EI ou de soutenir le groupe armé.

Beaucoup ont été déplacés lors de vastes opérations militaires en 2016 à travers le pays, notamment à Fallouja et dans les zones voisines (dans le gouvernorat d’Anbar), à al Sharqat (gouvernorat de Salah al Din), à Hawija (gouvernorat de Kirkouk) et aux alentours de Mossoul (gouvernorat de Ninive).

Connues sous le nom d’ « Unités de mobilisation populaire », les milices paramilitaires, majoritairement chiites, sont depuis longtemps appuyées par les autorités irakiennes. Elles ont officiellement incorporé les forces irakiennes en février 2016.

À l’heure où les combats ayant pour objectif de reprendre Mossoul ont commencé, il est crucial que les autorités irakiennes prennent des mesures pour garantir que ces violations choquantes ne se reproduisent pas. Les États apportant leur soutien ou participant aux efforts militaires en cours pour combattre l’EI en Irak doivent mettre en place un processus de vérification rigoureux afin de garantir que le soutien ou l’équipement qu’ils fournissent ne contribuent pas aux violations.

Enlèvements, homicides et torture de masse

Notre recherche a révélé que des crimes de guerre et d’autres graves violations des droits humains ont été commis par ces milices, et peut-être aussi par les forces gouvernementales lors d’opérations qui visaient à reprendre Fallouja et les zones environnantes à l’EI en mai et juin 2016.

Des milices ont enlevé, torturé et tué des hommes et des garçons de la tribu Mehemda qui fuyaient Saqlawiya, une autre ville au nord de Fallouja. Le 3 juin, quelque 1 300 hommes et adolescents ont été capturés. Trois jours plus tard, plus de 600 d’entre eux ont été transférés sous la responsabilité de représentants des autorités à Anbar ; leurs corps présentaient alors des traces de torture.

Des hommes en ayant réchappé nous ont raconté qu’ils avaient été retenus captifs dans une ferme abandonnée, frappés à l’aide de divers objets, des pelles notamment, et privés d’eau et de nourriture.

Il y avait du sang sur les murs [...] Ils nous ont frappés, les autres et moi, avec tout ce qui leur tombait sous la main, des barres métalliques, des pelles, des tuyaux, des câbles [...] Ils nous ont marché dessus avec leurs bottes. Ils nous ont insultés, et ont dit que c’était pour le massacre de Speicher [lors duquel quelque 1 700 élèves officiers chiites capturés ont été tués sommairement par l’EI] [...] Deux personnes sont mortes sous mes yeux"

De la torture à la condamnation à mort

Tous les hommes considérés en âge de se battre (âgés d’environ 15 à 65 ans) qui fuient les zones contrôlées par l’EI sont contrôlés par les autorités irakiennes et le gouvernement régional semi-autonome du Kurdistan pour déterminer s’ils entretiennent des liens avec l’EI.

Mais la procédure est opaque et présente souvent des failles. Si certains sont relâchés au bout de quelques jours, d’autres sont transférés par les forces de sécurité et détenus pendant des semaines voire des mois. Leurs conditions de détention sont alors épouvantables : ils ne peuvent pas s’entretenir avec leur famille, ne peuvent accéder au monde extérieur ou être déférés devant un tribunal.

La torture par les membres des forces de sécurité et de milices s’est banalisé dans les installations où sont effectués les contrôles, dans les sites de privation de liberté non officiels utilisés par les milices, et dans les locaux contrôlés par les ministères de la Défense et de l’Intérieur. D’anciens détenus ont indiqué qu’on les avait torturés pour leur arracher des « aveux » ou des informations.

Des personnes ayant été détenues par les forces kurdes de sécurité (Asayish) à Dibis, Makhmur et Dohuk dans la région du Kurdistan irakien ont également dit avoir été torturé et d’autres formes de mauvais traitements.

Il n’est pas rare que les tribunaux irakiens s’appuient sur des « aveux » obtenus par la force pour déclarer des accusés coupables de graves charges à l'issue de procès manifestement iniques - les condamnant souvent à mort. Depuis le début de l’année 2016, les autorités ont procédé à au moins 88 exécutions, principalement sur la base de charges liées au terrorisme. Des dizaines de condamnations à la peine capitale ont été prononcées et quelque 3 000 personnes se trouvent toujours dans le quartier des condamnés à mort.

Des abus généralisés dans tout le pays

Les enlèvements et homicides de masse près de Fallouja sont loin d’être des événements isolés. À travers le pays, des milliers d’hommes et d’adolescents sunnites ayant fui des territoires contrôlés par l’EI ont disparu après leur arrestation par les forces irakiennes de sécurité et les milices.

La plupart ont disparu après s’être rendus aux forces pro-gouvernementales ou ont été saisis à leur domicile, dans des camps pour personnes déplacées, à proximité de postes de contrôle ou dans la rue. Selon un député local, depuis fin 2014, des membres des brigades du Hezbollah ont soumis environ 2 000 hommes et adolescents à un enlèvement et une disparition forcée au poste de contrôle d’al Razzaza, qui sépare les gouvernorats d’Anbar et de Karbala.

Les [milices] Hashd ont emmené nos hommes en affirmant que c’était en réponse [aux violations de l’EI] »

Salma (son nom a été changé pour protéger son identité), dont l’époux a été intercepté au poste de contrôle d’al Razzaza avec ses deux cousins en janvier 2016 alors qu’ils fuyaient l’EI.

Empêcher les abus pour protéger les civils

Une commission d’enquête locale établie par le gouverneur d’Anbar a conclu que 49 personnes capturées à Saqlawiya ont été tuées - par balle, ou brûlées ou torturées à mort - et que 643 autres manquent toujours à l’appel. Le gouvernement a annoncé que des enquêtes ont été ouvertes sur les faits et que des arrestations ont été effectuées, mais n’a pas révélé d’informations détaillées sur les conclusions des investigations ni sur les personnes appréhendées.

Les autorités irakiennes, dont la complicité et l’inaction face à des abus de grande ampleur ont contribué au climat d’impunité, doivent contrôler les milices et faire clairement savoir que les violations de cette gravité ne seront pas tolérées.

S’en dispenser permettrait à ce cercle vicieux d’abus, de répression et d’injustice de continuer, et fait craindre le pire pour la sécurité des civils qui se trouveront toujours à Mossoul.