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Un bus transportant des personnes de Mariupol arrive dans le village de Bezimenne à Donetsk, le 7 mai 2022.

Un bus transportant des personnes de Mariupol arrive dans le village de Bezimenne à Donetsk, le 7 mai 2022.

Conflits armés et protection des civils

Guerre en Ukraine : ce que l’on sait sur les transferts forcés et les déportations de civils ukrainiens vers la Russie 

Des civils ukrainiens ont été déportés vers la Russie ou transférés de force vers des zones contrôlées par la Russie. Cela constitue un crime de guerre et probablement un crime contre l'humanité.

À retenir 

Des civils ukrainiens ont été transférés de force vers des zones occupées par la Russie ou déportés vers la Russie, ce qui constitue des crimes de guerre et probablement des crimes contre l'humanité. 

Des familles ont été déchirées. Des enfants qui ont perdu le contact avec leurs parents - ou qui sont censés être orphelins - ont été transférés ou déportés  et contraints à l'adoption. 

Les forces russes ont soumis des civils ukrainiens à la torture au cours du processus dit de " filtration ". Ces violations horribles doivent cesser. 

Transferts forcés et déportations, enfants placés de force en orphelinat, interrogatoires, fouilles, détentions arbitraires, menaces d'exécutions, torture... Notre rapport “Like a Prison Convoy”: Russia’sUnlawful Transfer and Abuse of Civilians in Ukraine During ‘Filtration’ dénonce l'horreur des violences subies par les Ukrainiennes et Ukrainiens fuyant le conflit, parmi lesquels des personnes âgées, handicapées et des enfants.  Voici ce que l’on sait.

Méthodologie  

Dans le cadre de ce rapport, Amnesty International a interrogé 88 Ukrainiens et Ukrainiennes, adultes et mineurs. Au moment des entretiens, toutes ces personnes, à l’exception d'une seule, se trouvaient dans des territoires contrôlés par le gouvernement ukrainien ou dans un pays tiers sûr en Europe. Une seule personne était encore en zone occupée par la Russie. 

➡️ Les forces russes ont transféré de force et déporté des civils ukrainiens. 

Ce que l’on sait. D’après notre rapport fondé sur des entretiens avec 88 personnes, depuis le début de l’invasion russe en Ukraine, des civils ont été transférés de force vers des régions ukrainiennes occupées ou déportés vers la Russie. Certains ukrainiens tentaient de fuir les combats. D’autres ont été expulsés de chez eux avant d’être transférés ou déportés. Des groupes à risque, comme des enfants non accompagnés, des personnes âgées et des personnes handicapées, ont eux aussi été victimes de ces pratiques illégales. 

Ce que dit le droit. Le transfert forcé de civils est strictement interdit au regard du droit international humanitaire et des lois de la guerre. En vertu du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI), le transfert ou la déportation forcés peuvent constituer un crime de guerre et un crime contre l'humanité. La déportation ou le transfert illégal de la population civile sont des infractions graves aux Conventions de Genève de 1949 et autres lois et coutumes s’appliquant aux conflits armés internationaux et sont constitutifs de crimes de guerre lorsque ces crimes s'inscrivent dans le cadre d'un plan ou d'une politique ou lorsqu'ils font partie d'une série de crimes analogues commis sur une grande échelle.

Tandis que "la déportation ou le transfert forcé de population" est considéré comme un crime contre l’humanité dès lors qu'il est commis dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque.

Pour constituer un crime contre l’humanité en droit international, le transfert ou la déportation doit être "forcé". Le terme "forcé" ne se limite pas à la force physique mais inclut la menace de coercition, telle que celle causée par la peur de la violence, la contrainte, la détention, l'oppression psychologique ou l'abus de pouvoir, ou encore le fait de tirer parti d'un environnement coercitif.

Le témoignage de Milena, 33 ans. Début mars 2022, la ville de Marioupol, au sud-est de l’Ukraine, a été entièrement encerclée par les forces russes, rendant toute évacuation impossible. Sous les bombardements presque constants, sa population civile est privée d’accès à l’eau courante, au chauffage et à l’électricité.  A la mi-mars, des milliers de personnes ont pu évacuer la ville en direction de territoires contrôlés par le gouvernement ukrainien, mais, la ville se trouvant progressivement occupée par les Russes, ces derniers se sont mis à transférer de force des civils dans les quartiers qu’ils contrôlaient, leur coupant l’accès à d’autres voies de sortie de la ville. Les civils ont déclaré s’être sentis contraints de monter dans des bus d’« évacuation » à destination de la République Populaire de Donetsk (RPD). 

Milena, 33 ans, nous raconte ce qu’elle a vécu lorsqu’elle a tenté de fuir Marioupol : « On a commencé à poser des questions à propos de l’évacuation, pour savoir où il était possible d'aller… J’ai été informée [par un soldat russe] que les seules destinations possibles étaient la RPD ou la Russie. Une autre fille a demandé quelles étaient les autres possibilités [d’évacuation], en Ukraine par exemple… La réponse a fusé, le soldat l’a coupée et a dit : “Si vous n’allez pas en RPD ou en Fédération de Russie, vous resterez ici pour toujours”. »  

Le mari de Milena, ancien membre de la marine ukrainienne, a été arrêté peu après alors qu'il passait la frontière pour entrer en Russie et n’a toujours pas été relâché. 

➡️ Les forces russes ont arraché des enfants à leur famille. 

Ce que l’on sait. Des familles ont été déchirées. Des enfants qui ont perdu le contact avec leurs parents - ou qui sont censés être orphelins - ont été transférés en Russie, placés en orphelinat ou contraints à l'adoption.  

La procédure d’obtention de la citoyenneté russe a par ailleurs été simplifiée pour les mineurs qui sont considérés comme étant soit orphelins soit sans protection parentale. Ces dispositions ont été prises pour permettre à des familles russes de pouvoir adopter ces enfants plus facilement, au mépris du droit international.  

Ce que dit le droit. Les lois applicables aux conflits armés interdisent les transferts forcés, en masse ou individuels, de personnes protégées, y compris civiles, hors du territoire occupé.  Ces actes sont révélateurs d’une politique délibérée, de la part de la Russie, relative à la déportation de personnes civiles, notamment mineures, de l'Ukraine vers son territoire. Ils suggèrent que la Russie s’est probablement rendue coupable du crime contre l’humanité de déportation ou transfert forcé. 

En vertu du droit international, il existe par ailleurs des protections supplémentaires pour les enfants. Le droit international humanitaire exige lorsqu'une puissance occupante procède à des transferts ou à des évacuations, "que les membres d'une même famille ne soient pas séparés". En outre, la Quatrième Convention de Genève de 1949 interdit à la puissance occupante de modifier le statut familial ou personnel, y compris la nationalité, des enfants. En ce qui concerne les adoptions d'enfants ukrainiens en Russie, la Convention relative aux droits de l’enfant appelle les États à "respecter le droit de l'enfant de préserver son identité, y compris sa nationalité, son nom et ses relations familiales tels qu'ils sont reconnus par la loi, sans ingérence illégale".

Le témoignage d’un petit garçon de 11 ans, privé de sa maman. Dans plusieurs cas, des personnes mineures qui fuyaient le conflit, sans leurs parents ni autres tuteurs ou tutrices légaux, ont été arrêtées à des postes de contrôle militaires russes, puis transférées à la garde des autorités de la région de Donetsk contrôlée par la Russie.  

Un garçon de 11 ans et sa mère ont été capturés et arrêtés par les forces russes à l’usine métallurgique Illitch de Marioupol à la mi-avril 2022. Il a été séparé de sa mère au cours de la procédure de filtration. Il a déclaré : « Ils ont emmené ma mère dans une autre tente. Elle se faisait interroger… Ils m’ont dit que j'allais être enlevé à ma mère… J’étais choqué… Ils ne m’ont rien dit sur l’endroit où ma mère allait… Je n’ai pas eu de nouvelles d’elle depuis. »  

Des personnes âgées ou en situation de handicap piégées en Russie 

Le rapport décrit en détail le transfert forcé des 92 résidents et résidentes d’une institution publique pour les personnes âgées ou en situation de handicap de Marioupol vers la ville de Donetsk. Nous avons recensé plusieurs cas où des personnes âgées ukrainiennes sembleraient avoir été placées dans des institutions en Russie ou dans les territoires occupés par la Russie après avoir fui leur domicile. Cette pratique constitue une violation des droits de la personne. Il devient alors compliqué pour les personnes concernées de parvenir à quitter la Russie ou à rejoindre les membres de leur famille en Ukraine ou ailleurs. 

➡️ Les forces russes ont torturé des civils ukrainiens au cours du processus dit de “filtration”.

Ce que l’on sait. Les civils ukrainiens qui ont fui ou ont été transférés ou déportés  ont généralement été soumis à une procédure de "filtration” abusive au moment d’entrer en « République populaire de Donetsk » (DNR), de passer la frontière avec la Russie, ou lorsqu’ils quittaient la Russie pour un pays tiers.  

Aux postes de “filtration”, des responsables des autorités russes les prenaient en photo, recueillaient leurs empreintes digitales, fouillaient leurs téléphones, forçaient certains hommes à se dénuder jusqu’à la taille et procédaient à de longs interrogatoires. 

Après avoir été soumis à une procédure de “filtration” abusive, beaucoup de civils ukrainiens et notamment les hommes en âge de servir dans l’armée, ont été détenus arbitrairement et dans des conditions inhumaines (placés dans des lieux surpeuplés, privés d'eau ou de nourriture...). Certains ont été victimes de torture et d’autres formes de mauvais traitements et soumis notamment à des coups, à des électrochocs ou à des menaces d'exécution. 

Ce que dit le droit. La procédure dite de “filtration” viole les droits à la vie privée et à l’intégrité physique. Par ailleurs, la torture, les traitements inhumains et la détention illégale constituent des infractions graves aux Conventions de Genève de 1949 et au droit international humanitaire : ce sont des crimes de guerre.

Les témoignages de Vitalii et Hussein. Vitalii, 31 ans, a été arrêté alors qu’il tentait de quitter Marioupol dans un bus d’évacuation le 28 avril dernier. Après que des soldats russes ont déclaré qu’il y avait un problème avec ses papiers, il a été obligé de monter dans un bus en compagnie de plusieurs autres hommes. Conduit à Dokoutchaïevsk, une ville proche de Donetsk, il a été placé dans une cellule avec 15 autres hommes, avant d’être emmené pour un interrogatoire.  

Il a déclaré : « Ils ont lié mes mains avec du ruban adhésif, ont mis un sac sur ma tête et m’ont entouré le cou avec du ruban adhésif… Puis, ils m’ont dit : “Dis-nous où tu sers, sur quelle base ?”... [Quand j’ai dit que je n’étais pas soldat], ils ont commencé à me taper très fort dans les reins… J’étais à genoux, ils me donnaient surtout des coups de pied. Quand ils m’ont ramené dans le garage, ils ont dit : “On va te faire ça tous les jours”. » 

Hussein est un étudiant azerbaïdjanais de 20 ans. Il a été arrêté alors qu’il fuyait Marioupol à destination de Zaporijjia à la mi-mars, puis détenu pendant près d'un mois. Accusé d’appartenir à l’armée ukrainienne, il a été battu au cours de ses interrogatoires.  

Hussein a raconté : « L’un des soldats a dit : “Il ne parlera pas comme ça, amène l’appareil de décharge électrique”… Il y avait deux câbles électriques, ils les ont enroulés autour de mes orteils et ont commencé à m'envoyer plusieurs décharges électriques… Ils m'ont battu à plusieurs reprises… Je me suis évanoui. Ils m’ont vidé un seau d'eau dessus et je suis revenu à moi. Je n’en pouvais plus, alors j’ai juste dit : “Oui, je suis dans l'armée.” Ils ont continué à me battre, je suis tombé de la chaise et ils m’ont remis dessus. Mes pieds saignaient. » Hussein a été menacé d’exécution, battu et soumis à des décharges électriques quotidiennement, jusqu’à quelques jours avant d’être relâché le 12 avril. 

Nos demandes

Ces violations horribles doivent cesser.

La Russie doit immédiatement mettre fin à la déportation de civils ukrainiens vers la Russie ou à leur transfert forcé vers d'autres zones d'Ukraine occupées par la Russie. Elle doit libérer toutes les personnes placées illégalement en détention.  

La Russie doit réunir les mineurs qu’elle détient avec leurs familles et organiser leur retour dans les territoires contrôlés par le gouvernement ukrainien. 

Tous les responsables présumés de ces crimes doivent être amenés à rendre des comptes.  

Nous demandons que la pratique russe du transfert forcé et de la déportation de civils, y compris d'enfants, depuis l'Ukraine fasse l'objet d'une enquête en tant que crime contre l'humanité. 

Nos enquêtes en Ukraine

Depuis le début du conflit, Amnesty International recueille des informations sur les crimes de guerre et les autres violations du droit international humanitaire commis pendant la guerre d'agression menée par la Russie en Ukraine.