Aller au contenu
Agir
Faire un don
ou montant libre :
/mois
Grâce à la réduction d'impôts de 66%, votre don ne vous coûtera que : 5,1 €/mois
Hongkong, les gens ont peur d’entretenir des liens avec les opposants. Beaucoup d’activistes se murent dans le silence

Hongkong, les gens ont peur d’entretenir des liens avec les opposants. Beaucoup d’activistes se murent dans le silence

Liberté d'expression

Hongkong : la clandestinité ou l’exil

La « Perle de l’Orient » a été mise au pas par la Chine depuis la loi de sécurité nationale, en 2020. Les Hongkongais refusant ce nouvel ordre chinois se terrent, poursuivent discrètement la lutte ou s’exilent.

Correspondance de Théophile Simon, à Hongkong et Taïwan (texte et photos)

Pour notre magazine La Chronique #438, paru au mois de mai 2023

« Son Excellence le juge Kwok Wan-lin ! », annonce un huissier du tribunal de Wan Chai, un quartier situé à deux pas du quartier d’affaires de l’île de Hongkong. Le public de la salle d’audience se lève pour saluer le magistrat qui prend place sur l’estrade. À sa gauche, dans le box des accusés, les journalistes Chung Pui-ken et Patrick Lam. Comme plusieurs autres médias d’opposition de la ville, leur journal, Stand News, a été fermé au titre d’une loi de sécurité particulièrement liberticide, imposée par Pékin en juin 2020. Les deux reporters encourent une peine de prison ferme pour leur couverture du soulèvement antigouvernemental de 2019. Deux millions de Hongkongais étaient alors descendus dans la rue pour s’opposer à la mainmise grandissante de la Chine. La procureure commence à pilonner les deux hommes. « Et ce texte-là, ne pensez-vous pas qu’il renforce le camp des manifestants ? D’ailleurs, quelle est votre opinion personnelle sur ces évènements ? », questionne-t-elle en brandissant une pile de vieux articles du journal. « Mon opinion n’a pas d’importance. Le but d’un journal est de créer un forum où différents points de vue peuvent s’exprimer », tente Chung Pui-ken, avant de se voir opposer d’autres « publications séditieuses ».

Soudain, le juge Wan-lin se joint à l’interrogatoire. « Quelle est votre opinion politique quant aux demandes des manifestants ? », demande-t-il au journaliste. Puis, un peu plus tard : « Répondez, enfin, quel est votre sentiment personnel ? » L’opinion du juge est, en revanche, bien connue. En 2020, il avait qualifié les manifestants de « terroristes ». Face à l’interrogatoire aux relents de procès politique, un avocat présent dans l’assemblée hoche la tête. « Notre système judicaire faisait autrefois la fierté des Hongkongais et assurait le rayonnement international de la ville. Il est devenu méconnaissable. L’État de droit est parti en fumée », se lamente-t-il.

Trois ans après avoir vacillé sous la pression populaire, les autorités hongkongaises se livrent à une véritable chasse aux sorcières. Une centaine de militants politiques sont incarcérés ou menacés de l’être. Syndicats professionnels et organisations étudiantes ont été dissous. Plusieurs ONG étrangères, dont Amnesty International, ont dû plier bagage. Même les conseils de quartiers, pourtant dévolus au ramassage des poubelles et autres contingences locales, ont été purgés de leurs élus jugés trop proches des idéaux du soulèvement de 2019. Rétrocédée à la Chine par les Britanniques en 1997, la « Perle de l’Orient » était censée maintenir son propre système politique pendant un demi-siècle, mais elle aura été bâillonnée avec une génération d’avance.

Sum Wan, un ancien journaliste de Stand News aujourd’hui reconverti en libraire

Des opposants réduits au silence

Lin*, ancienne salariée d’Amnesty International à Hongkong ayant dû s’exiler en Europe au début de l’année 2022, s’inquiète, en particulier, du sort des 47 opposants politiques dont le procès s’est ouvert début février. Leur crime : avoir participé pendant l’été 2020, à la primaire du camp prodémocratie en vue des élections législatives. La plupart ont passé les deux dernières années en détention provisoire. « Leur incarcération pour une période aussi longue est illégale, c’est un premier signe qu’ils ne bénéficieront pas d’un procès équitable. Et comme toujours dans les affaires ayant trait à la loi de sécurité, leur juge a été choisi directement par le gouvernement. Cela n’augure rien de bon non plus », tempête Lin.

Chao Po-ying, l’épouse de l’un des 47 accusés, nous avait reçus peu avant l’ouverture du procès. Leung Kwok-hung, son mari, est une figure de l’opposition hongkongaise. Infatigable militant de l’instauration du suffrage universel direct, pilier de la révolution des parapluies de 2014 et fondateur de l’un des principaux partis d’opposition de la ville, il a été arrêté en janvier 2021 et encourt huit ans de prison.

Notre système judiciaire faisait autrefois la fierté des Hongkongais et assurait le rayonnement international de la ville. Il est devenu méconnaissable. L’État de droit est parti en fumée.

Un avocat

« En attendant le verdict, j’ai repris la tête du parti politique qu’il a fondé. Mais militer à Hongkong est devenu très compliqué », expliquait Chao Po-ying, tristement assise au milieu d’un fatras de cartons, mégaphones et d’appareils électroniques emplissant le dernier étage d’un immeuble vétuste. « Nous cherchons de nouveaux locaux, car le précédent propriétaire nous a mis à la porte. Les gens ont peur d’entretenir des liens avec les opposants. Nous sommes devenus des pestiférés ».

Et la situation pourrait bien empirer : le gouvernement hongkongais a réduit la capacité des partis politiques à lever des fonds et il étudie une proposition de loi obligeant toute association à obtenir l’aval de l’exécutif avant de lancer une campagne de financement participatif. Au siège du Parti démocrate, l’autre grand parti d’opposition de la ville, on s’inquiète de devoir mettre la clef sous la porte. « Nous n’osons même plus nous coordonner avec les autres partis alliés, au risque d’être accusés de subversion », confie l’un des dirigeants sous couvert d’anonymat. Le simple fait de répondre à la presse étrangère, craignent-ils, peut constituer une « collusion avec un élément externe » aux yeux de la loi sur la sécurité nationale. Un crime passible de trois à dix ans de prison. « Cette menace de collusion avec l’étranger constitue l’un des principaux obstacles à notre travail d’enquête, raconte Lin, l’ex-employée d’Amnesty International. Il est devenu presque impossible de parler aux activistes. La plupart d’entre eux se murent dans le silence ». D’autant que le rythme des arrestations de militants ne montre aucun signe d’essoufflement. Fin mars, le célèbre défenseur des droits humains Albert Ho, qui encourt jusqu’à dix ans de prison, a été arrêté simplement pour avoir « interféré avec des témoins » pendant qu’il se trouvait en liberté sous caution.

Tiger, un journaliste dissident chinois installé à Hongkong depuis plus de vingt ans et ancien employé d’un journal d’opposition fermé par les autorités

La résistance de librairies libérales

Mais le silence n’est pas résignation. Les derniers opposants encore actifs misent sur la discrétion pour tenir la distance. La vocation de libraire, en particulier, a le vent en poupe. « Hongkong n’a jamais connu autant de librairies libérales. Elles permettent de maintenir un lien physique entre les activistes, ce qui est crucial si l’on veut garder notre détermination à obtenir, un jour, la liberté », explique Sum Wan, un ancien journaliste ayant ouvert une petite librairie dans le quartier de Kowloon. Sur les étagères, des livres retracent l’histoire de Hongkong, font l’éloge de la démocratie… Au rayon jeunesse, un album coloré tente d’accompagner les enfants hongkongais dans le déchirement de l’exil. Mais à Hongkong, désormais, vendre des livres n’est pas sans risque. Mi-janvier, six personnes, dont un pasteur, ont été interpellées par la police sur le stand d’une foire célébrant le Nouvel An lunaire. Leur tort, selon les autorités : avoir « produit et vendu un livre appelant à l’indépendance de Hongkong ». Verra-t-on bientôt des autodafés en plein cœur de l’une des plaques tournantes du commerce mondial ?

Un journaliste dissident chinois installé à Hongkong depuis une vingtaine d’années, Tiger, s’inquiète des conséquences de la répression sur la capacité des opposants chinois à s’organiser. « Pendant des décennies, cette ville fut la base arrière des démocrates chinois. On y relayait des œuvres interdites sur le continent. Les militants des droits humains y travaillaient dans une relative sérénité. Cette époque est révolue », lâche-t-il depuis la rive du quartier de Causeway Bay, marchant le long d’un bras de mer grisée par un crépuscule nuageux. De l’autre côté du détroit, les immenses gratte-ciel du quartier de Kowloon allument leurs premiers feux nocturnes.

« Je me souviens lorsque j’ai débarqué ici de Pékin à l’âge de 18 ans. J’ai découvert la démocratie par petites touches, au fil des rues, de mes études et de mes fréquentations. On pouvait critiquer le pouvoir, on pouvait dénoncer le sort fait aux plus pauvres, sourit Tiger en fixant l’horizon. Sept ans plus tard, j’ai pu voter pour la première fois aux élections locales. C’était un moment fantastique. C’est pour cela que j’ai voulu devenir journaliste. Je voulais me battre pour que Hongkong devienne un jour une véritable démocratie dotée du suffrage universel ». Mais c’est finalement d’un régime autoritaire dont l’île a fini par hériter. Mis au chômage par la fermeture des derniers journaux d’opposition, Tiger décollera bientôt pour le Japon, où il tentera de refaire sa vie.

Tant que le Parti communiste chinois restera au pouvoir, revenir à Hongkong sera impossible

Terrence Law, un étudiant 

Le syndicaliste étudiant Terrence Law, 23 ans, désormais exilé à Taïwan.

L’exil à Taïwan

Comme lui, environ 200 000 Hongkongais ont fui depuis l’instauration de la loi de sécurité nationale. Quelque 30 000 d’entre eux se sont établis sur l’île de Taïwan, distante d’à peine une heure de vol. Si beaucoup d’exilés ont simplement refusé d’élever leurs enfants sous la férule de Pékin, d’autres ont fui pour éviter de longues années derrière les barreaux. C’est le cas de Terrence Law, un étudiant de 23 ans. Lorsque son syndicat étudiant est dissous par les autorités en 2021, il choisit de continuer à militer avec un groupe d’amis. « Nous pensions que résister à la marge était encore possible, et avons donc levé des fonds pour venir en aide à des militants poursuivis en justice », raconte-t-il depuis un café de Taipei, la capitale taïwanaise. « Un matin de juillet 2022, trois policiers ont frappé à ma porte, aux aurores. Ils m’ont donné une semaine pour leur livrer la liste de mes camarades et de mes donateurs. J’ai immédiatement choisi de fuir ». En dix jours, le jeune activiste liquide sa vie et achète un aller simple pour Taïwan. « Au moment de passer la frontière, à l’aéroport, j’étais terrifié. Je pensais me faire arrêter, reprend-il, les yeux perdus dans le vague. Mais lorsque l’on m’a laissé passer, au contrôle des passeports, c’est un sentiment de tristesse qui m’a submergé. J’étais libre, certes, mais j’allais quitter ma ville, peut-être pour toujours. Puis l’avion a décollé. C’était la nuit, Hongkong scintillait de mille feux. Je n’avais jamais rien vu d’aussi beau.

J’ai pleuré pendant tout le vol ». Reprenant contenance, il empoigne son vieux manteau et sort dans le froid mordant de cette fin janvier. Un vent glacial balaie la mer de Chine, toute proche. « Tant que le Parti communiste chinois restera au pouvoir, revenir à Hongkong sera impossible. Certains dissidents chinois exilés à l’étranger m’ont prévenu : il est possible que mes cheveux soient gris le jour où je rentrerai chez moi ». D’ici là, il veut continuer à lutter pour sa ville et compte rejoindre un petit groupe de militants hongkongais eux aussi exilés à Taïwan. À leur tête, Kacey Wong, un célèbre artiste ayant fui Hongkong l’année précédente. « En 2020, mon nom a commencé à être vilipendé dans les journaux du pouvoir. J’ai alors compris que j’allais être l’une des prochaines cibles, et je me suis enfui. Depuis lors, je tente d’alerter les habitants de Taïwan sur ce qu’il se passe à Hongkong. Car, en cas d’invasion de Pékin, la démocratie taïwanaise risque de subir le même sort », explique-t-il depuis son studio de la banlieue de Taichung, la deuxième ville de Taïwan.

À l’extérieur du bâtiment, quelques paysans repiquent les rizières dans la lumière du soir. « Je ne suis pas sûr de revoir Hongkong un jour. C’est une bataille de longue haleine, mais je la mènerai jusqu’à mon dernier souffle », ajoute-t-il, mélancolique. Tapi dans le dédale des canyons urbains de Hongkong ou sur les rives du détroit de Taïwan, le cœur de la liberté hongkongaise bat plus faiblement que jamais. Mais il bat toujours. — T. S.

 

* Les noms ont été changés.