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©Michel Slomka

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Personnes réfugiées et migrantes

Wali, l’Afghan

Wali a perdu sa famille sur la route de l’exil. L’adolescent est tiraillé entre l’espoir de la retrouver et le besoin de se construire un avenir.

 Sa silhouette fend les rues bordées de corons. Le vent fouette son visage, Wali court, se rapproche de l’un des majestueux terrils qui dessinent l’horizon vallonné du bassin minier.

Toujours plus vite, l’adolescent de 17 ans entame la montée de la colline de déblais, dans ce paysage des Hauts-de-France, si éloigné des plaines septentrionales d’Afghanistan qu’il a connues toute son enfance. Chaque jour, depuis qu’il est arrivé à Béthune, fin 2017, le jeune homme grimpe en courant l’un des historiques crassiers. Dans cet effort, il veut « oublier », dit-il, ses mauvaises pensées, chasser des images récurrentes : celles des visages juvéniles de ses frère et sœur, Samina 9 ans et Samsur 12 ans, puis de ses parents, qu’il n’a pas vus depuis deux ans. Une carte et un grand drapeau de son pays ornent les murs blancs de son studio dans le foyer de jeunes travailleurs où il vit depuis six mois.

« J’ai été placé dans un autre foyer, puis dans une famille d’accueil pendant six mois à Saint-Omer [Pas-de-Calais]. Je n’ai pas tenu. Elle était très gentille, mais je n’étais pas libre, avoue-t-il. Je pensais jour et nuit à ma famille, j’étais triste, J’y pense sans arrêt, parfois j’arrive endormi au lycée, n’ayant pas fermé l’œil de la nuit, y repensant sans cesse ». Wali les a perdus sur la route de l’exil en Europe. Tous sont partis d’un village de la province de Baghlân (nord de l’Afghanistan) en 2015, mais lui seul a atteint le bassin minier français.

 Lire notre dossier spécial : en France, les réfugiés afghans menacés

Les silhouettes de ses proches s’amenuisent

Nous avons fui les talibans qui se rapprochaient de notre village, raconte-t-il. Lorsque mon père nous a annoncé que nous irions en Angleterre, je lui ai répondu : c’est une blague ou quoi ? Je voulais rester en Afghanistan.

La famille quitte en avion un pays endeuillé par les attentats. Après une escale à Istanbul, elle gagne, avec des passeurs, la côte ouest de la Turquie, d’où partent, chaque nuit, des Zodiac pour la Grèce. Des bateaux clandestins surchargés de passagers espérant trouver refuge en Europe. Son regard se perd : il s’interroge, « où sont-ils ? » Ils sont vivants, il en est sûr. L’adolescent a souvent ressassé ce jour de 2015, le dernier où il les a vus.

Il a passé en revue chaque détail : « Avant de prendre la mer, le passeur, un Kurde de Turquie, m’a dit : tu ne peux pas rester avec eux, toi tu dois aller dans le bateau avec les hommes ». Wali salue ses parents, prend le numéro de téléphone turc de son père. Leur embarcation part avant la sienne, « les passeurs n’ont même pas de vrais bateaux, ils le gonflaient [les canots] devant nous avec des pompes à air », s’énerve Wali. Les silhouettes de ses parents, de Samina, de Samsur, s’amenuisent sur la mer Égée et disparaissent au loin. En 2015, l’automne est dur en Grèce. Les vents violents secouent les vagues. Des dizaines d’exilés périssent dans des naufrages.

« Pourquoi mes parents ne me cherchent pas ? »

Wali débarque sain et sauf sur une île grecque, « après trois heures horribles, plein de gens pleuraient ». Il ne verra jamais accoster le bateau de ses proches. Le numéro turc de son père ne passe plus.

« Si je pouvais aujourd’hui, j’irais en Turquie. J’irais tuer ce passeur qui m’a séparé de ma famille », enrage Wali. Perdu dans le flot de réfugiés, qui arrive quotidiennement par centaines sur l’île grecque, le mineur croise un Afghan de Kaboul. Ensemble, ils arpentent les camps en quête de ses proches. « Mais je n’avais pas de photos d’eux ». Après trois jours de vaines recherches, il décide de continuer sa route avec l’espoir de les retrouver en chemin. Son compagnon afghan se rend en Allemagne.

« À l’époque ce pays voulait bien des étrangers, je ne sais pas pourquoi aujourd’hui ils n’en veulent plus… Et puis les frontières étaient gratuites ». Wali poursuit sa route en direction de l’Angleterre, « parce que je savais que mon père voulait y aller ». Il se rend à Calais. Puis découvre le quotidien précaire dans la « jungle », ce vaste camp de quelque 9 000 réfugiés, aux allures de bidonville.

« C’était finalement très compliqué de passer au Royaume-Uni, je n’avais pas d’argent pour payer les passeurs ». (Il faut 3 000 euros en moyenne pour cacher les migrants dans des camions, ndlr). « Des associations m’ont conseillé de rester en France ». Bloqué dans l’Hexagone, Wali se concentre sur ses recherches. Il ne sait pas où frapper pour trouver de l’aide. Fin 2017, il rencontre une femme de l’organisation France Terre d’Asile. « Elle m’a emmené voir la Croix-Rouge (voir encadré), je leur ai raconté mon histoire. J’ai envoyé une lettre à ma dernière sœur, qui vit en Afghanistan. Je lui ai raconté toute l’histoire. Je lui ai donné mon numéro et demandé de m’appeler. Elle n’a pas répondu, elle vit dans un village sans Internet ni téléphone, regrette-t-il. Je les cherche sur Google, sur Facebook, mais les membres de ma famille ne sont pas sur ces réseaux, j’ai tapé le nom de mon petit frère, au cas où, mais plein de gens portent le même ». Il désespère. « Je m’inquiète : pourquoi mes parents ne me recherchent pas ? ».

Lorsqu’il est seul, il se force à arrêter de penser à sa famille. « Si je pense trop à elle, dans un mois je deviens fou, je ne peux pas travailler. Alors, je vais au lycée, je traîne avec mes potes en ville, je cours, je rentre, je vais au lit, je ne pense pas ». Il ne veut pas rester seul dans sa chambre, cette pièce, son repère, où flotte une odeur de thé. Sa fenêtre donne sur des maisons de briques sous un ciel laiteux et des rues désertes. Sur son bureau trônent les gants de boxe, autre exutoire de Wali. « J’aime le combat. Quand j’étais en Afghanistan, je me bagarrais souvent ». Cet admirateur de Mohammed Ali ira plus loin, assure-t-il. « Je vais faire du MMA [mixed martial arts ou free-fight] même si c’est violent ». Il prépare aussi son avenir professionnel : « Je fais un CAP restauration, on (l’établissement scolaire, ndlr) m’a orienté là-dedans, ça ne me plaît pas trop. Moi, je voudrais être boucher, quand tu es boucher, tu apprends à avoir un cœur dur, quand t’as le cœur dur tu t’en fiches de tout ». — E. P.

1/ Nous sommes volontairement restés évasifs sur le lieu de résidence du jeune homme.

- de notre correspondante à Béthune, Élisa Perrigueur pour la Chronique d'Amnesty International