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La police anti-émeute rench bloque une route lors d'une manifestation près de la place de la République, dans le cadre d'une journée de grèves dans toute la France appelée par sept syndicats français exigeant un nouveau règlement social après Covid-19 le 17 septembre 2020 à Paris,
La police anti-émeute bloque une route lors d'une manifestation près de la place de la République, dans le cadre d'une journée de grèves nationales, le 17 septembre 2020 à Paris // Credit : KIRAN RIDLEY / GETTY IMAGES EUROPE / GETTY IMAGES VIA AFP

La police anti-émeute bloque une route lors d'une manifestation près de la place de la République, dans le cadre d'une journée de grèves nationales, le 17 septembre 2020 à Paris // Credit : KIRAN RIDLEY / GETTY IMAGES EUROPE / GETTY IMAGES VIA AFP

Liberté d'expression

Nouveau schéma du maintien de l’ordre : une occasion manquée

Au moins 2 500 blessés côté manifestants et 1 800 côté force de l’ordre : c’était le bilan officiel inquiétant après un an de manifestation des gilets jaunes. Dans ce contexte, une nouvelle stratégie de maintien l’ordre s’avérait essentielle. Or, après 18 mois de travail, le ministre de l’Intérieur revient avec un plan décevant pour les droits humains.

Le maintien de l’usage d’armes de guerre

Malgré les alertes de notre organisation, mais aussi du Défenseur des droits ou de l’ONU, le schéma national du maintien de l’ordre (SNMO) confirme l’usage des lanceurs de balle de défense (LBD40) et des grenades de désencerclement, même si ces dernières seraient d’un modèle « moins dangereux ».

Nous demandions l’interdiction des grenades de désencerclement en raison de leur impact disproportionné – les plots projetés peuvent blesser grièvement des personnes – et de leur caractère indiscriminé, puisqu’elles frappent de façon aléatoire une fois jetées dans la foule. Nous demandions également la suspension des LBD40 en raison de la gravité des blessures infligées (perte d’un œil, mâchoire ou crânes fracturés…).

Lire aussi : Pour la suspension du LBD et l'interdiction des grenades explosives

Le remplacement de la grenade GLI-F4 par la grenade GM2L n’est pas non plus satisfaisant. La grenade GM2L est un grenade lacrymogène assortie d’un effet assourdissant. Ce double effet est contreproductif : le gaz lacrymogène doit être utilisé pour la dispersion, or il n’est pas rationnel d’y associer un effet assourdissant, qui risque de désorienter les personnes et de rendre cette dispersion plus difficile.

Compte tenu du nombre de blessés graves causés par ces armes, le ministère de l’Intérieur aurait dû annoncer leur retrait, dans un geste de désescalade vis-à-vis des manifestants. Les forces de l’ordre disposent de l’un des arsenaux les plus fournis en Europe pour gérer les manifestations, et ont bien d’autres moyens pour disperser les cortèges quand c’est nécessaire. La France est d’ailleurs le seul pays européen utilisant les grenades de désencerclement.

Une communication à sens unique ?

Le SNMO annonce des moyens de dialogue avec le public renouvelés et la mise en place d’un dispositif de liaison et d’information pour interagir avec les manifestants. Si l’idée est louable, les dispositifs détaillés dans le document ne visent qu’à une communication à sens unique : les autorités diront aux manifestants ce qu’il est autorisé ou non de faire, où ils doivent aller, quand la force va être utilisée…

Il est certes utile de communiquer ses intentions afin d’éviter les surprises, mais l’instauration d’un dialogue implique une communication dans les deux sens, où les manifestants sont eux-mêmes écoutés. L’objectif est alors de comprendre leurs besoins, leurs attentes et de permettre ainsi aux forces de l’ordre d’y répondre, dans la mesure du possible, pour faire baisser les frustrations et éviter les tensions.

Des atteintes à la liberté d’informer

Si la nécessité de protéger le droit d’informer est affirmée, ce qui est positif, le droit des journalistes de porter des équipements de protection est conditionné au fait que « leur identité soit confirmée » et d’avoir un comportement « exempt de toute infraction ou provocation ». D’une part, cette identification ne doit pas être interprétée comme la possession d’une carte de presse qui n’est pas nécessaire pour avoir le statut de journaliste. D’autre part, le terme de « provocation » est bien trop flou et ouvre la voie à l’arbitraire en permettant à des policiers de priver un journaliste de son matériel simplement parce que son attitude leur déplaît.

En outre, alors que la mission des observateurs des droits humains est de documenter les conditions de l’usage de la force par les forces de l’ordre, le SNMO considère que, tout comme les journalistes, ils commettent un délit en restant présents après les sommations. Or la force étant utilisée après les sommations, demander aux observateurs et journalistes de ne pas rester à ce moment-là peut revenir à les empêcher de mener leurs missions. Les forces de l’ordre doivent distinguer entre les participants à une manifestation, et les non participants, tels que les observateurs et journalistes.

L’usage de la force : toujours central

S’il est important que le SNMO rappelle que l’usage de la force doit être strictement nécessaire et proportionné, rien n’est développé pour la mise en œuvre de ces principes. D’une part, la nécessité implique que l’usage de la force soit le dernier ou le seul recours possible. Or rien n’est précisé sur le fait que d’autres moyens que la force doivent être engagés en cas d’infractions ou de dégradations. Au contraire, le ton est plutôt à la fermeté. Il n’est pas illégitime de vouloir arrêter et sanctionner les personnes se rendant coupables de violences, mais il reste nécessaire de préserver le droit de manifester de toutes celles qui n’en commettent pas.

Ainsi, le principe de proportionnalité veut que les avantages et les conséquences négatives du recours à la force soient évalués, et peut signifier que les forces de l’ordre choisissent dans certains cas de ne pas intervenir, même en cas d’infractions, afin d’éviter une escalade de tensions avec la foule. C’est ce que la Gendarmerie genevoise (Suisse) définit aussi comme le « principe d’opportunité » : parfois, il n’est pas opportun de réagir. Dans le SNMO, tout trouble voire un simple risque de trouble semble automatiquement entrainer une réaction des forces de l’ordre.

Enfin, selon le droit international, la dispersion d’un cortège ne devrait être admise que quand elle est absolument inévitable, par exemple en cas de violences généralisées qui n’ont pu être gérées par d’autres moyens. Or dans le SNMO français, les critères permettant de justifier une dispersion sont peu clairs, et pourraient laisser penser que la moindre apparition de troubles à l’ordre public est suffisante, ce qui constituerait une violation du droit international en la matière.

Un cadre juridique contraire au droit international

Une partie du SNMO est consacrée à la réponse judiciaire aux infractions commises dans le cadre de manifestations. Le problème ? Un grand nombre de législations mentionnées ne sont pas conformes aux exigences du droit international, que ce soient les mesures de la loi anti-casseurs ou le fait de pénaliser l’organisateur d’une manifestation non-déclarée, alors qu’en droit international, cette absence de déclaration ne rend pas la manifestation illégale en soi.

Des étudiants de mai 68 aux marins-pêcheurs dans les années 90, des hooligans anglais au black bloc allemand, les violences, la présence de manifestants violents dans les cortèges est loin d’être une nouveauté ou une spécificité française. De même, la modification des formes de mobilisation, avec des mouvements sans organisateurs ou des stratégies de blocage ou d’occupation, sont des phénomènes qui se développent partout en Europe.

Les autorités françaises pourraient choisir de s’intéresser, sérieusement, aux modèles de dialogue et de désescalade mis en œuvre par d’autres polices européennes pour permettre un meilleur respect des droits humains. Avec ce SNMO, elles passent encore à côté de cet objectif.

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