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Réfugiés

le « risque de mourir » est-il devenu acceptable ? 

Des membres des garde-côtes turcs recherchent des bateaux transportant des réfugiés et des migrants lors d'une patrouille effectuée le 29 septembre 2021 à Van, en Turquie. "Le monde doit savoir que nos frontières sont fermées à tout afflux de migrants", a déclaré Mehmet Emin Bilmez, gouverneur de la province frontalière orientale de Van. Photo par Chris McGrath/Getty Images

À l’heure où l’Europe se met en ordre de bataille pour accueillir les Ukrainiennes et Ukrainiens fuyant la guerre, il est important de rappeler que le droit d’asile est un droit universel. En 2021, plus d’un tiers des 154 pays analysés dans le cadre de notre rapport annuel ont refoulé des hommes, des femmes et des enfants à leur frontière ou les ont renvoyés illégalement dans leur pays, parfois au péril de leur vie. Ce sombre constat nous interroge : le « risque de mourir » serait-il devenu acceptable ?

En 2021, 84 millions de personnes ont quitté leur foyer. Un nombre record. Des personnes poussées hors de chez elles en raison des inégalités, du changement climatique ou des violences liées aux conflits. Le retour au pouvoir des Talibans en Afghanistan en août 2021, l’enlisement de la guerre en Éthiopie et la situation au Myanmar ont, par exemple, entraîné de nouvelles vagues de déplacements. De la même façon, le conflit persistant en République démocratique du Congo a conduit, à lui seul, 1,5 million de personnes à abandonner leur domicile en 2021. Tandis qu’au Venezuela, c’est l’aggravation de la crise humanitaire et la pauvreté extrême qui a conduit des milliers de personnes a quitté le pays cette année encore. Depuis l’éclatement du conflit en Ukraine et à l’heure où l’on écrit ces lignes, près de 4 millions d’Ukrainiennes et d’Ukrainiens ont trouvé refuge dans les pays voisins selon le HCR.

84millionsde personnes ont quitté leur foyer en 2021
1,5millionde personnes ont été déplacées en raison du conflit en République démocratique du Congo en 2021.
26millionsc'est le nombre de personnes réfugiées dans le monde en 2021

Comprendre : Qu'est-ce qu'un migrant ?

Comprendre : Qu'est-ce qu'un demandeur d'asile ?

Comprendre : Qu'est-ce qu'un réfugié ?

Dans le camp de déplacés de Rhoo, le 21 décembre 2021, au nord-est de la République démocratique du Congo. Depuis fin novembre 2021, plusieurs villages et camps de déplacés ont été attaqués et près de 100 personnes ont été tuées dans la région, obligeant jusqu'à 70 000 personnes à se rassembler sur la colline de Rhoo autour d'une base de casques bleus bangladais de la Monusco, la mission des Nations Unies en RD Congo. Depuis deux ans, dans les collines de la province d'Ituri, des milliers d'hommes armés attaquent des villages, des camps de déplacés et des positions militaires au nom de la Coopérative pour le développement du Congo, la Codeco, un groupe armé structuré autour d'une secte religieuse. Photo par Alexis Huguet / AFP.

Face à la guerre en Ukraine, un élan de fraternité 

Si la Pologne accueille la majorité des réfugiés ukrainiens, c’est l’Union européenne (UE) dans son ensemble qui, dans un élan de fraternité sans précédent, a décidé de leur ouvrir ses portes en grand. Pour la première fois de son histoire, l’UE a même activé son mécanisme de « protection temporaire ».  

Une solidarité exceptionnelle, qui est malheureusement à nuancer sous certains aspects. Des personnes racisées, et en particulier des personnes noires, ont en effet fait l’objet de discriminations et de violences en Ukraine et à ses frontières alors qu’elles tentaient comme les autres de fuir la guerre.  En savoir plus.

Solidarité locale VS solidarité internationale ? 

En 2021, la solidarité en faveur des personnes exilées s’est renforcée à l’échelle locale dans différentes parties du monde. De plus en plus de pays, 15 à la fin de l’année, ont mis en place un système de parrainage qui permet aux populations locales d’accueillir des réfugiés. 

Dans le même temps,  48 pays sur les 154 pays analysés ont refoulé des hommes, des femmes et des enfants à leur frontière ou les ont renvoyés illégalement dans leur pays, parfois au péril de leur vie.   

Une solidarité sélective ? 

Selon notre rapport annuel, en 2021, les discours xénophobes sur l’immigration ont continué de se propager dans l’opinion publique, en particulier dans les pays du Nord, en Europe et en Asie centrale. Et les politiques intérieures se sont durcies. Une bonne dizaine de pays de l’UE ont appelé les autorités européennes à affaiblir les règles communes de protection des réfugiés. Certains sont même allés jusqu'à criminaliser celles et ceux qui tentent de sauver leur vie.  

La Pologne, qui ouvre aujourd’hui ses frontières aux citoyens ukrainiens, continue de les fermer à d’autres personnes qui fuient pourtant elles aussi des zones de conflits et de crises. A sa frontière avec le Bélarus, des milliers de personnes exilées se sont retrouvées prises au piège cet hiver et des centaines restent encore aujourd’hui bloquées dans des conditions indignes entre les deux pays. Plusieurs d’entre elles sont mortes d’hypothermie. Et la Pologne a entrepris de construire un mur le long de sa frontière.  

« Tant de conflits déchirent le monde sans susciter d’émoi ni même d’intérêt ! » reproche notre présidente Cécile Coudriou. « Tant de pays font fi de la Convention de Genève de 1951 sur le statut des réfugiés. Alors que, depuis des décennies, notre mouvement défend sans relâche le droit d’asile, combien de fois nous sommes-nous heurtés au refus de l’accueil, au rejet de l’autre, à l’égoïsme éhonté ? Nous avons vu se construire une Europe forteresse, qui préfère protéger les frontières que sauver des vies humaines, contribuant ainsi à transformer la Méditerranée en cimetière  ».  

Des migrants se rassemblent dans un centre de transport et de logistique pendant une chute de neige, près de la frontière biélorusse-polonaise, dans la région de Grodno, en Biélorussie, le 23 novembre 2021. REUTERS/Kacper Pempel

Des migrants se rassemblent dans un centre de transport et de logistique pendant une chute de neige, près de la frontière biélorusse-polonaise, dans la région de Grodno, en Biélorussie, le 23 novembre 2021. REUTERS/Kacper Pempel

Des violences généralisées en toute impunité 

Ainsi, de nombreux pays n’hésitent pas à multiplier les renvois forcés illégaux (pushbacks, en anglais) à leurs frontières. « Renvoi forcé » est un terme qui paraît bien anodin. Il recouvre pourtant bien souvent des pratiques d’une terrible violence qui violent le principe de non-refoulement, pierre angulaire du droit d’asile, et mettent en péril des vies humaines.  

De la même façon, des États du Nord ont continué à externaliser les procédures nationales de demande d’asile - même pour des personnes réfugiées qu’ils affirmaient vouloir aider, comme celles en provenance d’Afghanistan au lendemain du retour des Talibans au pouvoir en août 2021. Et ils ont continué de déployer des technologies de surveillance aux frontières, utilisées à des fins sécuritaires et de manière discriminatoire à l’égard des personnes racisées.  

Des États ont également continué à sous-traiter leur politique migratoire à des pays qui violent impunément les droits humains des personnes exilées. Par exemple, les pays membres de l’UE ont continué leur coopération avec la Libye. Dans ce pays, des milliers de personnes ont été victimes de disparition forcée après avoir été interceptées en Méditerranée par les garde-côtes libyens, soutenus financièrement par l’UE. Des centaines d’autres personnes ont été reconduites de force à des frontières terrestres en dehors de toute procédure en bonne et due forme (pour en savoir plus, voir l'encadré en fin d’article).

Partout les personnes exilées sont susceptibles d’être victimes de violences, aussi cruelles que diverses : renvois forcés illégaux, torture, violences sexuelles... Des violences qui se généralisent, en toute impunité. 

Les personnes en mouvement prises au piège des camps

Aujourd’hui, la plupart des personnes en mouvement se retrouvent des années durant dans des camps, comme au Bangladesh, en Jordanie, au Kenya, en Ouganda ou encore en Turquie. En Syrie, environ 27 000 enfants sont prisonniers depuis plus de deux ans dans l’enfer du camp d’Al-Hol, l’un des plus importants du pays. L’un d’eux a été tué par balle le 7 février dernier. 

Aller plus loin : En Syrie, les enfants dans l'enfer du camp d'Al-Hol

Même lorsqu’elles parviennent à passer les frontières, l’enfer continue. Elles se retrouvent dans des situations dangereuses. Dans de nombreux pays, les autorités les arrêtent illégalement et les détiennent pour des durées indéterminées - souvent sans fondement juridique valable et sans leur permettre de contester la légalité de leur détention.  Beaucoup, vivent dans la crainte permanente d’être renvoyées illégalement dans le pays qu’elles ont souvent fui pour des raisons de sécurité. La Malaisie a expulsé plus d’un millier de personnes demandeuses d’asile vers le Myanmar, malgré le risque réel de persécutions et d’autres graves violations des droits humains. Enfin, les personnes migrantes voient trop souvent leurs droits ignorés dans le cadre du travail. Au Qatar, des milliers de travailleuses et travailleurs migrants sont maltraités et exploités. Des milliers d’entre eux sont morts sur les chantiers de la future Coupe du monde de football sans qu’aucune enquête ne soit menée.

Aller plus loin : Qatar 2022 : les droits humains ne doivent pas être hors-jeu !

	Mandatory Credit: Photo by Niranjan Shrestha/AP/Shutterstock (7647243a)
Relatives and villagers gather around the coffin of Balkisun Mandal Khatwe at Belhi village, Saptari district of Nepal. Balkisun, who had been working for Habtoor Leighton Group in Qatar for less than a month, died in his sleep. The number of Nepali workers going abroad has more than doubled since the country began promoting foreign labor in recent years: from about 220,000 in 2008 to about 500,000 in 2015. Yet the number of deaths among those workers has risen much faster in the same period. In total, over 5,000 workers from this small country have died working abroad since 2008, more than the number of U.S. troops killed in the Iraq War
Nepal Migrant Deaths - 23 Nov 2016

Des proches et des villageois se rassemblent autour du cercueil de Balkisun Mandal Khatwe au village de Belhi, dans le district de Saptari au Népal. Balkisun, qui travaillait pour Habtoor Leighton Group au Qatar depuis moins d'un mois, est mort dans son sommeil. Au total, plus de 5 000 travailleurs de ce petit pays sont morts en travaillant à l'étranger depuis 2008, soit plus que le nombre de soldats américains tués pendant la guerre d'Irak. Photo par Niranjan Shrestha/AP/Shutterstock

"Il n’y a pas de bons ou de mauvais réfugiés" 

En 2021, le monde a connu un nombre record de personnes exilées. Cette réalité est la résultante, en partie au moins, de l’échec de la communauté internationale dénoncé par notre secrétaire Agnès Callamard. Un échec à construire le monde d’après - un monde meilleur et plus équitable maintes fois promis pendant la pandémie - à répondre efficacement aux enjeux de la crise climatique, mais aussi à prévenir l’enlisement et la multiplication des conflits.

A lire aussi : Rapport annuel 2021 : pourquoi le monde d'après n'a pas eu lieu

Qu’ils quittent l'Ukraine, la Syrie, l’Irak, l’Afghanistan, l’Érythrée, le Yémen ou le Soudan, les civils, victimes collatérales des conflits, cherchent toutes et tous la même protection. Ces personnes fuient les horreurs de la guerre et les persécutions. Pourtant, trop souvent, les Etats répondent à leur demande de protection par la loi de la violence et bafouent ouvertement le droit d’asile. Ils laissent les crimes commis à leur encontre impunis. Trop souvent, ils poussent le curseur de la répression en matière de politique migratoire toujours plus loin, poussant les personnes exilées à prendre toujours plus de risques, à mettre leur vie en jeu. 

Face à ce sombre constat, l’accueil des Ukrainiennes et des Ukrainiens pourrait-il représenter un espoir ? Après tout, toutes ces personnes, « n’ont-elles pas droit à la même empathie ? » interroge Cécile Coudriou. Avant de poursuivre : « Il n’y a pas de bons et de mauvais réfugiés, il n’y a que des êtres humains en quête de protection. Aucune vie ne vaut davantage qu’une autre et pratiquer une telle géométrie variable dans l’empathie est indigne. La solidarité ne saurait être sélective. »  

Que s’est-il passé en Libye en 2021, l’un des pays à qui l’UE sous-traite sa politique migratoire ? 

Aujourd’hui, de plus en plus, des camps-tampons viennent former la vraie frontière de l’Union européenne (au Maroc, en Algérie, en Libye, en Ukraine, en Turquie…), dans un processus d’“externalisation” par l'UE de sa politique de contrôle des frontières. Quel est le véritable coût humain de cette politique ? En 2021, le constat dressé dans notre Rapport annuel sur la situation des personnes réfugiées et migrantes en Libye reste accablant : des milliers de personnes exilées sont soumises de façon systématique et généralisée à des atteintes aux droits humains aux mains d’agents de l’État ou de membres de milices et de groupes armés, en toute impunité.  

Voici ce qu’il faut savoir sur la situation des personnes exilées, en Libye en 2021 : 

Les garde-côtes libyens, soutenus par l’UE, ont mis en péril la vie personnes exilées qui traversaient la Méditerranée en tirant des coups de feu sur leurs embarcations ou en les endommageant délibérément. Des personnes ont trouvé la mort du fait de ces agissements. 

Les garde-côtes ont intercepté 32 425 personnes personnes exilées dont de très nombreux réfugiés qu’ils ont renvoyés de force en Libye, où des milliers d’entre eux ont été placés en détention pour une durée indéterminée dans des centres de la Direction de lutte contre la migration illégale (DCIM).  

Des milliers de personnes exilées ont été victimes de disparition forcée après leur débarquement. 

Des personnes exilées ont été arrêtées arbitrairement chez elles, dans la rue ou à des postes de contrôle.  

En octobre,  , les forces de sécurité libyennes et des milices de Tripoli ont mené une opération violente et meurtrière contre plus de 5000 hommes, femmes et enfants originaires d’Afrique subsaharienne. 

Gardiens et miliciens infligeaient des tortures et d’autres mauvais traitements – violences sexuelles ou fondées sur le genre, travail forcé et autres formes d’exploitation – aux personnes qu’ils détenaient, notamment dans le centre de la DCIM d’Al Mabani, qui a ouvert en janvier 2021 à Tripoli.  

Dans un autre centre de la DCIM à Tripoli, à Shara Al Zawiya, des gardiens ont violé des femmes et des jeunes filles migrantes ou les ont contraintes à avoir des relations sexuelles en échange de nourriture. 

Les autorités de la DCIM dans l’est de la Libye ont expulsé, en dehors de toute procédure légale, au moins 2 839 personnes réfugiées ou migrantes vers le Tchad, l’Égypte et le Soudan.  

Les autorités libyennes ont empêché le départ de plusieurs vols par lesquels des personnes demandeuses d’asile ou réfugiées devaient être évacuées ou réinstallées dans des pays tiers. 

Des gardiens, des hommes en uniforme militaire et des miliciens ont ouvert le feu illégalement contre des réfugiés et des migrants dans des centres de la DCIM ou lors de tentatives d’évasion.