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Journée internationale des droits des femmes 2018 à Madrid.

La parité

dans 217 ans ?

Journée internationale des droits des femmes 2018 à Madrid. © Getty Images

Mal payées, discriminées dans l’accès à la propriété et souvent non reconnues pour leur travail... les femmes paient le prix fort des manquements des États et des entreprises dans la protection des droits humains. La lutte pour l'égalité des genres ne peut plus attendre.

En janvier dernier, le Forum économique mondial a appelé à faire de 2018 l’année de la réussite des femmes. Il a invité les gouvernements à accroître la place des femmes dans le monde du travail afin qu’elles y participent au même titre que les hommes.

Deux mois plus tôt cependant, en novembre 2017, cette organisation avait estimé qu’il faudrait encore 217 ans pour combler l’écart économique entre les hommes et les femmes.

Des étudiants de l'Université de Delhi manifestent contre le traitement discrminatoire des femmes dans les auberges de jeunesse, octobre 2018. © 2018 Hindustan Times

À quand l'égalité ?

En 2015, dans le cadre des objectifs de développement durable des Nations unies, les gouvernements avaient pris l’engagement politique d’atteindre l’égalité des genres d’ici à 2030.

Cet engagement faisait suite à un travail de campagne concerté, mené par des groupes de défense des droits des femmes et des organisations spécialisées dans le développement et les droits humains.

Le décalage est grand entre, d’un côté, l’engagement à réaliser l’égalité des genres d’ici 12 ans – notamment en accordant aux femmes les mêmes droits d’accès aux ressources économiques qu’aux hommes – et, de l’autre, les estimations selon lesquelles il faudra encore plus de deux siècles pour y parvenir.

Focus : Les droits des femmes et les discriminations envers les femmes.

Pas de terre, pas de droits

Les obstacles qui empêchent les femmes de jouir de leurs droits économiques et sociaux sont bien connus.

Selon les Nations unies, les femmes ne possèdent que 12,8 % des terres agricoles dans le monde.

Le fait que beaucoup de femmes ne bénéficient pas d’une sécurité légale d’occupation fait gravement obstacle à leurs droits à l’alimentation, au travail et au logement dans les zones rurales comme urbaines.

Les règles d’héritage discriminatoires, ainsi que les lois relatives au statut des personnes et à la propriété, empêchent souvent les femmes de louer, posséder ou déclarer des terres ou des biens immobiliers.

Dans notre rapport sur l’Eswatini (ex-Swaziland) paru en 2018, nous avons montré que le système traditionnel d’attribution des terres par les chefs («kukhonta») désavantageait souvent les femmes car les terres revenaient généralement aux hommes.

« Il est très difficile pour une femme de bénéficier de la procédure de kukhonta (attribution des terres). Il faut un homme. Sinon vous ne pouvez pas obtenir de terre ni être écoutée. »

Une femme expulsée de force de sa maison au Eswatini.

Depuis plus de dix ans, nous demandons aux gouvernements de garantir à toutes les personnes un degré minimum de sécurité d’occupation des terres, qui doit comprendre une protection contre les expulsions forcées, le harcèlement et les autres menaces.

Les gouvernements continuent pourtant d’acquérir des terres pour de grands projets commerciaux ou de réaménagement urbain en violation flagrante du droit international, ce qui donne lieu à des expulsions forcées.

Les femmes sont beaucoup plus touchées que les hommes par ces mesures car elles ne bénéficient pas des mêmes droits en termes d’accès à la terre et à la propriété.

Elles basculent donc plus facilement dans la pauvreté ou deviennent encore plus pauvres qu’elles ne l’étaient.

Par exemple, au Kenya, des femmes autochtones sengwers nous ont expliqué que les expulsions forcées des populations vivant dans la forêt d’Embobut avaient détruit leur autonomie financière car elles n’avaient plus accès à la forêt, aux terres et au bétail dont elles ont besoin pour assurer leur subsistance et préserver leur identité culturelle.

« Je suis hébergée [chez quelqu’un], je n’ai pas de terres, pas de lit et pratiquement rien à manger. Je travaille de temps en temps dans des fermes. Je vis dans le dénuement le plus total. »

Une femme sengwer au Kenya expulsée sans aucune indemnisation.

Une livreuse de légumes se repose sur son rickshaw à Manille, Philippines, juillet 2018. © AFP/Getty Images

Femmes au travail : vulnérables et mal payées

Selon la Banque mondiale, le Brésil, l’Égypte, la France, l’Inde, la Russie et 99 autres pays disposent toujours de lois qui empêchent les femmes d’exercer certains métiers.

Plus de 2,7 millions de femmes n’ont pas, en droit, le même choix de professions que les hommes.

L’École de santé publique Fielding, un centre d’étude, a constaté que seuls 87 pays garantissaient l’égalité des salaires entre les hommes et les femmes à emploi équivalent.

Selon les estimations de l’Organisation internationale du travail (OIT), 740 millions de femmes travaillent dans le secteur informel, sans protection juridique et sans accès, ou presque, aux systèmes de sécurité sociale.

Les employées de maison sont souvent particulièrement vulnérables. Des campagnes menées par notre organisation au Liban, au Qatar, dans la région administrative de Hong-Kong et en Indonésie ont mis en avant les graves atteintes aux droits des travailleurs et aux autres droits humains dont ces femmes sont souvent victimes en raison des lacunes du droit du travail, ou de sa mauvaise application.

Les femmes qui travaillent dans l’économie informelle et dans de nombreuses zones de fabrication de produits destinés à l’exportation se heurtent à des obstacles juridiques et pratiques qui les empêchent de se syndiquer et d’exercer leurs droits de négociation collective.

Selon l’OIT, les femmes constituent la plus grande partie de la main-d’œuvre dans certains secteurs de la chaîne d’approvisionnement mondiale, tels que l’habillement et l’horticulture, mais elles exercent majoritairement des emplois mal payés ou peu qualifiés.

Une usine de textiles au Eswatini (ex-Swaziland), septembre 2015.

Une usine de textiles au Eswatini (ex-Swaziland), septembre 2015. © Gianluigi Guercia/AFP/Getty Images

Et les entreprises dans tout cela ?

Les campagnes que nous menons actuellement sur l’huile de palme et le cobalt dans la chaîne d’approvisionnement mondiale montrent que certaines des entreprises les plus riches du monde ne font pas preuve de la diligence requise en matière de droits humains.

L’évolution du marché du travail mondial, marquée notamment par l’augmentation des délocalisations et du recours à la sous-traitance dans les chaînes d’approvisionnement mondiales et dans l’économie des plateformes numériques - en particulier lorsqu’elle s’accompagne d’une insécurité du travail et de faibles salaires - rend encore plus difficile la réduction des écarts de salaires entre les hommes et les femmes.

L'écart de rémunération entre hommes et femmes en moyenne mondiale est de 23%.

Les gouvernements doivent de toute urgence adapter leur législation relative aux droits des travailleurs et travailleuses et la manière dont ils l’appliquent afin de combler les lacunes dans la protection du droit des femmes au travail et des droits des travailleuses.

Les entreprises doivent déterminer quels sont les risques en matière de droits des travailleurs et d’autres droits humains que présentent leurs activités et leurs chaînes d’approvisionnement mondiales, afin de prévenir ces risques et d’y remédier.

Les gouvernements doivent quant à eux changer radicalement de modèle et reconnaître la responsabilité juridique des entreprises, en veillant à ce que toutes les victimes puissent obtenir réparation.

Manifestation pour les droits des travailleuses domestiques au Kenya en mai 2018. © AFP/Getty Images

Travail non rémunéré et soins aux proches

Le travail non rémunéré et les soins aux proches restent très majoritairement assurés par des femmes.

Selon les données de 83 pays analysées par l’ONU, les femmes sont deux fois plus nombreuses que les hommes à s’occuper des tâches non rémunérées que constituent le travail domestique et les soins aux proches.

En conséquence, elles ont moins la possibilité de suivre des études et d’exercer un emploi rémunéré, ce qui a des conséquences négatives sur leurs revenus.

Lire aussi : Sept femmes inspirantes qui se mobilisent pour nos droits.

Selon l’OIT, alors que l’écart diminue entre les hommes et les femmes en termes de niveau d’études et d’expérience professionnelle, les disparités de salaires restent plus importantes qu’escompté.

Les inégalités de genre au travail et le poids du travail non rémunéré et des soins aux proches empêchent en outre les femmes de bénéficier d’une aussi bonne couverture sociale que les hommes.

De plus, près de 65 % des personnes qui ont atteint l’âge de la retraite mais ne touchent pas une pension régulière sont des femmes.

Près de 750 millions de femmes n’ont aucun droit officiel au congé maternité.

Il est indispensable que les gouvernements reconnaissent, réduisent et compensent le travail non rémunéré que constituent les soins aux proches, notamment en améliorant les services publics et les programmes d’aide sociale.

Ces inégalités sont encore aggravées par les mesures d’austérité et les coupes budgétaires qui réduisent les principaux services publics dans de nombreux pays.

Par exemple, en Espagne, les retards d’application d’une loi sur les soins de longue durée ont eu d’énormes conséquences sur les personnes qui aident les malades de manière informelle – des femmes pour la plupart.

De même, au Tchad, les mesures d’austérité ont de graves répercussions sur le secteur public de santé et compromettent l’accès des femmes et des filles aux soins médicaux de base.

Les femmes et les filles vulnérables vivant en zone rurale sont très durement touchées.

« Je ne suis pas venue avant parce que je n’avais pas d’argent pour les analyses. Je n’ai pas d’argent pour les comprimés de fer et le carnet… »

Au Tchad, une femme enceinte de 29 ans habitant à 12 kilomètres du centre de santé le plus proche.

Esther Njuguna, vendeuse d’eau à Nairobi. Kenya, mars 2018. © Biko Macoins/AFP/Getty Images.

Le rôle des gouvernements

Plus de 100 gouvernements ont pris des mesures pour suivre les budgets alloués à l’égalité des genres.

C’est une avancée positive, mais les gouvernements doivent en faire beaucoup plus pour évaluer, élaborer et mettre en œuvre des politiques fiscales et monétaires appropriées visant à garantir cette égalité.

Ils doivent notamment appliquer des politiques de taxation progressive et combattre l’évasion fiscale et les flux financiers illégaux afin de disposer de plus de moyens pour mettre en œuvre les droits économiques, sociaux et culturels des femmes.

Pour parvenir à l’égalité des genres, les gouvernements peuvent et doivent remédier aux disparités qui existent dans les cadres juridiques, l’application des lois et les dépenses publiques.

Les femmes ne peuvent pas attendre encore 200 ans.

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