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Omar Abusaada

Omar Abusaada metteur en scène syrien en Avignon

En cette année anniversaire, le programme du plus grand festival de théâtre en Europe, dont Amnesty International est partenaire, met en lumière plusieurs créateurs du Moyen-Orient et du Maghreb. Entretien avec Omar Abusaada metteur en scène syrien.

Comment est née la pièce "Pendant que j’attendais" jouée en Avignon ?

Omar Abusaada C’est une pièce autour du coma. Je pense au sujet depuis deux ans. Un ami âgé de 20 ans est tombé dans le coma suite à un accident en 2013, puis il est mort au bout de deux mois. Je lui ai rendu visite régulièrement à l’hôpital à Damas, j’ai rencontré sa famille, ses amis. Des images ont commencé à naître dans mon esprit. Petit à petit s’est imposée l’idée d’en faire une pièce de théâtre. J’en ai parlé à mon ami, le dramaturge Mohammed Attar qui s’est mis à écrire le texte. Au début, j’étais focalisé sur le coma de ce tout jeune homme dans une approche réaliste : Que ressent-il ? Que perçoit-il ? Pense-t-il ? En fait, ce n’est qu’une fois le texte écrit, que nous avons compris la dimension métaphorique du propos. Le coma comme métaphore de la situation dans laquelle se trouve la société syrienne. L’attente entre la vie et la mort. Et toutes les discussions au-dessus de la tête du patient comateux… Je suis frappé par la façon dont les médias parlent de ce qui se passe chez nous. Dès 2011, j’étais en Europe et les gens me demandaient ce que je pensais de la guerre en Syrie, sans prononcer le mot révolution ! Aujourd’hui, ils semblent ignorer que la majorité des Syriens ne supporte ni Daech ni le régime. Cela nous met en colère parfois.

Vous habitez toujours Damas, comment avez-vous travaillé avec la troupe ?

Oh là là, vous ne pouvez imaginer les difficultés ! Tous les acteurs sont syriens, mais l’un habite en Syrie, les autres à Berlin, Marseille, Istanbul, Le Caire. C’est fou. Il faut décrocher les visas pour chacun, trouver un endroit pour répéter en Europe car ce serait trop dangereux en Syrie d’autant que la plupart des membres de la troupe ne peuvent y revenir. Heureusement, nous avons été très bien accueillis par l’équipe de La Friche de la Belle de Mai à Marseille où ont été organisées les répétitions.

L’an dernier, vous avez monté Antigone avec des réfugiées syriennes du camp de Chatila au Liban ?

J’ai beaucoup sillonné mon pays avant 2011 et je connais l’origine des réfugiés, je saisis les spécificités de leur région, les contextes sociaux. Cela m’a aidé à monter cette pièce Antigone avec des Syriennes réfugiées dans le camp de Chatila, en banlieue de Beyrouth. J’ai découvert à travers ce travail à quel point la révolution syrienne avait changé les gens. Avant, je n’aurais jamais pu mener ce projet avec des femmes en Syrie. Toutes étaient mariées, sunnites, très pieuses, et leurs maris leur auraient vraisemblablement interdit de participer à ce genre d’expérience théâtrale. Une soixantaine de femmes a répondu spontanément à notre annonce. Certes, j’ai dû passer quelques coups de fil à des époux sourcilleux pour continuer l’expérience et finalement, nous avons retenu vingt et une réfugiées qui sont montées sur scène.

Comment expliquez-vous ce changement d’attitude ?

Avant la révolution, l’homme était le soutien financier de la famille et la contrôlait entièrement. On le craignait. Or, les réfugiés n’ont plus la même image de cet homme qu’elles ont vu avoir peur, faire preuve de faiblesse. La plupart des hommes n’ont plus de travail. Chacun dans le foyer doit chercher de quoi survivre. La révolution est aussi à l’œuvre à l’intérieur des familles.

Quelle approche avez-vous adoptée pour travailler avec ces femmes réfugiées ?

Nous avons commencé les ateliers par des exercices, certaines femmes ne sachant ni lire ni écrire. Progressivement nous avons abordé le texte d’Antigone en leur proposant de nous dire ce qu’il signifiait pour elles, ce qu’elles ressentaient. Cette pièce parle de la guerre, d’un conflit de famille, d’un dictateur Créon et d’une résistante Antigone. Ces femmes réfugiées se sont vite projetées dans le texte. L’image du dictateur pouvait être un homme politique, leur père, leur mari. La pièce a été jouée à Beyrouth, Hambourg puis Marseille… Une fois la tournée terminée, les trois plus jeunes actrices célibataires ne sont pas rentrées mais les autres sont revenues à Chatila. Le choc que j’appréhendais ne s’est pas produit. Elles ont repris leurs vies.

Comment votre route a-t-elle croisé le théâtre ?

J’ai grandi à Damas, dans le quartier de Mezzé Jabal. Mon père, directeur de photographie pour le cinéma, aurait souhaité que je suive sa voie. Mais il n’y avait pas d’école permettant d’étudier le cinéma en Syrie. Je suis donc rentré à l’Institut supérieur d’art dramatique de Damas. Quand j’en suis sorti en 2001, j’avais 24 ans. Avec une dizaine d’amis, on a monté une petite compagnie et presque chaque fin de semaine, nous prenions la route pour nous rendre dans un village. Nous avons ainsi parcouru tout le pays et je conserve précieusement les photos de ces virées. Nous nous installions sur la place du village, présentions des sketches, invitions les gens à des improvisations, puis on discutait ensemble autour du spectacle. On les conviait aussi à nous raconter leurs histoires qui inspiraient en retour nos textes.

Quels sujets évoquaient ces villageois ?

Les langues se déliaient facilement parce que dans ces villages, il n’y avait aucune forme de divertissement et beaucoup de pauvreté. Lors de ces tournées, entre 2003 et 2007, on pouvait pressentir que quelque chose couvait en Syrie. Le fossé se creusait entre les conditions de vie de ces zones rurales et celles des grandes villes syriennes. Les jeunes des villages n’avaient aucune chance de trouver un boulot, donc de se loger, donc de se marier… Ils vivaient privés de projets et de rêves. On sentait que ça allait exploser. Nous observions aussi beaucoup de problèmes sociaux liés à la situation de la femme dans la famille.

Et les tensions confessionnelles…

À l’intérieur des familles, on en parlait en secret. La peur était palpable, même si dehors, le sujet restait tabou et que vu de l’extérieur, on cohabitait. Notre compagnie abordait ce sujet sensible mais à travers l’humour. Je me souviens d’un sketch qui parlait d’un mariage entre deux personnes de confession différente que l’on adaptait au clivage religieux du lieu (sunnite, chrétien, druze, alaouite). Les réactions étaient vives mais différentes selon la génération, les jeunes se montraient beaucoup plus ouverts. Évidemment, pour jouer ainsi, il fallait quand même le feu vert d’une association syrienne qui nous chapeautait. Cette expérience m’a complètement changé. Avant, je ne connaissais que Damas or la capitale ne résume pas la Syrie !

Quels souvenirs avez-vous de cette période ?

Ma génération a connu un important changement. Je suis né en 1977 sous le régime du père, Hafez al-Assad. Quand le fils Bachar al-Assad est arrivé au pouvoir en 2000, la société a commencé à s’ouvrir : dans les coffee-shops on parlait davantage, on recevait les chaînes satellites à la maison, les téléphones portables sont apparus. Mais en profondeur, rien ne changeait. En fait, le gouvernement ne savait pas du tout comment gérer toutes ces nouveautés. L’ancien monde s’effaçait mais tout était confus. D’ailleurs, au début de la révolution de 2011, le régime ne savait absolument pas comment y répondre.

Vous étiez déjà sorti de Syrie avant la révolution ?

Oui, dès les années 2000, j’ai pu voyager. L’une de mes premières pièces parlait d’une balade de deux personnages, un homme et une femme, dans les rues de Damas, évoquant leur rêve de voyager hors de Syrie. Partir ou rester : c’est encore un thème actuel, un enjeu existentiel pour les jeunes, abordé d’ailleurs dans notre nouvelle pièce Alors que j’attendais.

Propos recueillis par Aurélie Carton

Extrait du mensuel La Chronique d'Amnesty International de juillet-août 2016