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Deux infirmiers portant des masques de soins infirmiers sont vus avec des écriteaux sur la tête avec les slogans : "Hôpital en feu - Hôpital en detresse". © Karine Pierre / Hans Lucas via AFP

Deux infirmiers portant des masques de soins infirmiers sont vus avec des écriteaux sur la tête avec les slogans : "Hôpital en feu - Hôpital en detresse". © Karine Pierre / Hans Lucas via AFP

Cauchemars, épuisement et burn-out : les professionnels de santé racontent leur calvaire 

Ils sont aides à domicile, employés de maisons de retraites, manipulateurs médicaux. La crise sanitaire met leur vie en danger, mais aussi leur santé mentale. Pénurie d’équipements, précarité, stress et horaires de travail exténuants ont un impact violent et largement sous-estimé sur la santé mentale de ces travailleurs essentiels, souvent restés dans l’ombre. Nous appelons à un sursaut au niveau international pour les protéger.

« J’ai appelé mon thérapeute une fois au beau milieu du chaos, mais j’ai senti que je ne pouvais pas parler. C’est comme ouvrir un barrage : si je laisse sortir mes sentiments, je ne sais pas si je serai capable de refermer les vannes. » Annalisa* est employée dans une maison de retraite en Italie. En pleine pandémie, alors qu’elle s’inquiétait notamment de la pénurie d’équipements de protection individuelle, elle s’est mise à bégayer et à faire des cauchemars. « Je n’arrivais plus à le supporter, témoigne Annalisa, mais je devais attendre [...] que mes collègues qui avaient contracté la maladie reviennent, pour qu’il y ait un minimum de présence. Je ne voulais pas quitter un navire en perdition. »  

A lire aussi : Plus de 7 000 soignants sont morts dans le monde

Annalisa n’est pas un cas isolé. Des dizaines d’entretiens menés par nos équipes avec des professionnels de santé montrent que la pénurie d’équipements de protection individuelle et les heures exténuantes constituent un risque pour la santé mentale tout aussi important que pour la santé physique. Les professionnels de santé censés aller travailler sans protection adaptée se sentent sous-estimés, démoralisés et en colère. Mais les bas salaires et les contrats précaires étant endémiques dans certaines parties du secteur, beaucoup n’ont guère d’autre choix que de continuer.  

Des “salaires de misère”  

Sarah*, qui travaille dans une maison de retraite au Royaume-Uni, a rejoint un syndicat lorsqu’elle s’est aperçue que les intérimaires auxquels on faisait appel pour compléter les équipes étaient mieux payés que le reste du personnel. Furieuse contre ce qu’elle appelle les « salaires de misère », elle explique que des employés souffrants venaient quand même travailler parce qu’ils ne bénéficiaient que de l’indemnité maladie statutaire. Et lorsque la responsable de Sarah l’a appelée pendant son jour de congé et lui a demandé de venir, elle a accepté : 

J’étais épuisée, mais j’ai pensé aux résidents. Qui allait s’occuper d’eux ? Probablement des intérimaires. Mais lorsque vous travaillez de manière permanente, vous connaissez les besoins de vos résidents.

Sarah*, qui travaille dans une maison de retraite au Royaume-Uni 

Une infirmière gériatrique aide un vieil homme avec un déambulateur, le 11 juin 2020 à Bonn, en Allemagne. © Photo par Ute Grabowsky / Photothek via Getty Images

Laly*, elle, est aide-soignante à domicile en France. Comme tous les soignants qui rendent visite aux patients chez eux, elle a été exclue du système de primes jusqu’au mois d’août. Si ce système a depuis été étendu, elle continue de dénoncer des bas salaires et de mauvaises conditions de travail. Dans son secteur, où les femmes sont largement représentées, beaucoup ne gagnent même pas le salaire minimum, malgré des horaires souvent à rallonge. Laly travaille parfois de 6 heures du matin jusqu’à 21 heures pour aider des personnes fragiles à se doucher, à aller aux toilettes, à manger ou à s’habiller. Pour elle, le gouvernement français sous-estime clairement la pression que la pandémie exerce sur les membres de sa profession. Elle craint  qu’en cas de deuxième vague, de nombreux aides-soignants à domicile ne démissionnent : 

Beaucoup sont en épuisement professionnel, souffrent de dépression… Si nous sommes frappés par une seconde vague, cela posera un réel problème aux autorités, parce que nombre d’aides-soignants à domicile seront en congé maladie. Malgré leur dévouement, ils ne retourneront pas travailler dans ces conditions.  

Laly*, aide-soignante à domicile en France 

Démoralisés par les inégalités 

Tshepo*, manipulateur d'électroradiologie médicale en Afrique du Sud, a contracté le Covid-19 après être allé travailler sans équipements de protection individuelle adéquats. Les manipulateurs n’étaient pas considérés comme un groupe « à haut risque », alors qu’ils entraient en contact avec des patients atteints du Covid-19 chaque jour.  

Démoralisé par les inégalités constatées au niveau des décisions concernant les équipements de protection individuelle, Tshepo s’inquiète aujourd’hui de l’absence de réadaptation pour le personnel ayant contracté le virus :

Mon corps n’est pas complètement guéri. Le virus a affecté ma respiration, mes sinus et je suis exténué. Nous devrions suivre des séances de physiothérapie pour favoriser la guérison et des séances de soutien psychologique pour le traumatisme. 

Tshepo*, manipulateur d'électroradiologie médicale en Afrique du Sud

Sept mois après le début de la pandémie, il est grand temps que les gouvernements prennent dûment en compte le bien-être des professionnels de santé. 

Un membre du personnel soignant prend une pause dans le couloir de l'hôpital de la clinique Ambroise Pare. © Nathan Laine / Hans Lucas via AFP

Les qualifier de « héros » passe sous silence le fait que ce sont des êtres humains   

Le dévouement des professionnels de santé est une leçon d’humilité, mais les qualifier de « héros » passe sous silence le fait que ce sont des êtres humains ; et aucun être humain ne sort indemne après des mois à côtoyer la mort et la maladie, pendant des heures interminables et exténuantes, et pour un salaire minimal. Si tout le monde a ressenti l’impact psychologique de la pandémie, nombreux sont les professionnels de santé qui ont été exposés à des traumatismes au quotidien et qui peuvent avoir besoin d’une aide supplémentaire.  

A lire aussi : Covid-19, le personnel de santé réduit au silence, exposé, agressé

Pour aider les soignants, les responsables des établissements de soins peuvent prendre de nombreuses mesures d’ordre pratique : assurer une rotation du personnel entre des postes fortement générateurs de stress et d’autres moins éprouvants, associer les professionnels débutants à des collègues plus expérimentés, et instaurer, encourager et contrôler des pauses. Il faut mettre en place des horaires de travail flexibles pour les professionnels directement impactés par le virus et veiller à ce que l’ensemble du personnel sache où se tourner pour accéder à des services de santé mentale. 

Il faut un sursaut au niveau international pour protéger les professionnels de santé et les aider à faire face à toutes les difficultés que la pandémie leur impose. Si les professionnels de santé ne sont pas en sécurité, nous ne le serons pas non plus. 

 

* Pour préserver l'anonymat de ces personnes, leurs prénoms ont été modifiés.  

Le droit à la santé mentale mis à mal par la pandémie  

Le droit au meilleur état de santé mentale susceptible d’être atteint est inscrit dans le droit international. Or, dans le monde, peu de gens ont accès à des services de santé mentale de qualité. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, plus de 75 % des personnes souffrant de troubles mentaux, neurologiques ou liés à la consommation de substances ne reçoivent aucun traitement. Le COVID-19 exacerbe ce problème : une récente étude de l’OMS concluait que la pandémie a perturbé ou interrompu des services essentiels de santé mentale dans 93 % des pays de par le monde. Parallèlement, la demande augmente. Les professionnels de santé qui ont été exposés à des traumatismes au quotidien doivent pouvoir bénéficier d’une aide supplémentaire. 

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