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Demonstrators wave Lebanese flags during protests near the site of a blast at Beirut's port area, Lebanon August 11, 2020.
Des manifestants libanais aident un autre manifestant blessé lors d'affrontements dans le centre-ville de Beyrouth le 8 août 2020 // Credit : PATRICK BAZ / AFP

Des manifestants libanais aident un autre manifestant blessé lors d'affrontements dans le centre-ville de Beyrouth le 8 août 2020 // Credit : PATRICK BAZ / AFP

Liberté d'expression

Après la catastrophe de Beyrouth, les manifestants pris pour cible

Sous le choc du traumatisme des explosions, des milliers de Libanais sont descendus dans les rues pour réclamer justice. La réponse des forces de sécurité a été sanglante, leur but : « tirer pour blesser ».

Lors des manifestations de Beyrouth, le 8 août 2020, nous avons enquêté : observations, recueils des témoignages des victimes, de témoins directs, de médecins, analyse d’images. Le bilan est sans appel : les forces de sécurité et l’armée ont fait usage de la force de manière brutale et illégale. Plus de 230 personnes ont été blessées.

Les vidéos vérifiées par notre laboratoire de preuves du programme Réaction aux crises montrent un usage de la force caractérisé par des tirs visant à blesser. Cela indique que les autorités souhaitaient punir les manifestants et dissuader la population de manifester. Cette analyse a également permis de confirmer que des membres des forces de sécurité habillés en civil avaient ouvert le feu sur les foules.

Des tirs à bout portant

Lebanese protesters help a wounded demonstrator during clashes in downtown Beirut on August 8, 2020, following a demonstration against a political leadership they blame for a monster explosion that killed more than 150 people and disfigured the capital Beirut.

Des manifestants libanais aident un autre manifestant blessé lors d'affrontements, Beyrouth, le 8 août 2020 // Credit : PATRICK BAZ / AFP

Nous avons interviewé six manifestants qui se trouvaient dans le centre de Beyrouth le 8 août lorsque la répression s’est durcie. Tous ont indiqué avoir vu des membres des forces de sécurité et des militaires tirer des balles en caoutchouc et des grenades lacrymogènes directement sur la foule, au niveau de la poitrine et à bout portant. Ceci témoigne d’une véritable volonté de blesser.

Les médecins ont signalé au moins six cas de lésions oculaires, concernant des personnes âgées de 18 à 21 ans, blessées aux yeux par des plombs. L’équipe médicale du département d’ophtalmologie de l’Université américaine de Beyrouth a dû opérer un jeune homme et lui retirer un œil. Les autres ont perdu la vision à différents degrés.

Amjad a reçu une balle en caoutchouc dans la nuque d’après des médecins. Une veine a été touchée et il a perdu beaucoup de sang avant d’être conduit à l’hôpital Rizk.

Nous nous trouvions rue Riad Al Solh. J’ai vu la police anti-émeutes et l’armée tirer directement sur les manifestant·e·s à bout portant. Ils étaient à une dizaine de mètres de nous et j’ai senti du sang couler sur ma nuque.

Amjad*, un manifestant

Aux termes des directives internationales, les balles en caoutchouc ne doivent être utilisées que de manière ciblée pour stopper des individus se livrant à des actes de violence et ne doivent jamais être tirées de manière indiscriminée sur la foule, car elles peuvent causer des blessures graves. En outre, en vue de limiter le risque de blessure, elles ne doivent être tirées qu’en direction de la partie inférieure du corps.

Les forces de sécurité du Liban ont employé tout un éventail d’armes, tirant dans l’intention d’infliger des blessures aux manifestants. Agir ainsi au lendemain d’une tragédie nationale témoigne d’une cruauté sans nom.

Lire aussi : L'explosion à Beyrouth doit faire l'objet d'une enquête indépendante

Lebanese pay tribute to the victims of the explosion in the port a week after the disaster. Beirut, Lebanon, 11 August 2020.

Manifestation du 8 août à Beyrouth // Credit : Thomas Devenyi / Hans Lucas

Des grenades lacrymogènes tirées sur la foule

Les forces de sécurité et la police anti-émeutes ont tiré sans discernement des grenades lacrymogènes sur la foule en utilisant des lanceurs, blessant grièvement plusieurs personnes. Jad* et Faten* se trouvaient dans le quartier d’Azarieh lorsqu’ils ont été pris pour cible par des tirs de la police anti-émeute.

Alors que nous prenions nos affaires pour partir, une grenade lacrymogène m’a touché au visage, au-dessus de l’œil droit. J’ai le nez cassé et tout mon visage est enflé.

Témoignage de Jad* qui se trouvaient dans le quartier d’Azarieh

Les grenades lacrymogènes tirées à l’aide de lanceurs peuvent causer des blessures graves. Elles ne doivent être utilisées que dans des situations de violence généralisée, dans le but de disperser les foules, lorsqu’aucun autre moyen n’a permis de contenir les violences.

Il est illégal d’utiliser des gaz lacrymogènes si les grenades sont tirées directement sur une personne. Nous pouvons donc le dire, sans aucun doute, les forces de sécurité cherchaient délibérément à blesser.

Bien qu’un petit nombre de manifestants se soient livrés à des actes mineurs de violence, cela ne justifie pas de disperser toute la manifestation en faisant usage de la force et n’autorise pas les forces de sécurité à la traiter comme un événement non pacifique.

Des médecins pris pour cibles

Des médecins qui participaient aux manifestations ont expliqué qu’ils ont vite compris que des dizaines de personnes avaient besoin de soins médicaux d’urgence. Ils ont signalé des blessures et des lésions au niveau de la tête, du visage, du cou, des bras, de la poitrine, du dos, des jambes et de la rate. Ils ont été pris pour cibles par des tirs lacrymogènes alors qu’ils tentaient de soigner les blessés.

Le médecin Elie Saliba a raconté qu’il a été agressé à trois reprises, le 8 août, alors qu’il se trouvait place des Martyrs. Il a été touché à l’épaule par un tir de fusil à pompe, puis par un jet de plombs au visage et à la tête, et il a ensuite été frappé par des militaires.

Les médecins et les travailleurs humanitaires ont vécu une semaine très traumatisante, se donnant sans relâche pour sauver des vies après les explosions. Aujourd’hui, ils se retrouvent à soigner des blessures causées par des violences étatiques et se font tirer dessus et rouer de coups. Qu’en est-il de la décence humaine élémentaire ?

Au lieu de s’acquitter de ses responsabilités fondamentales envers les milliers de personnes qui se retrouvent à la rue et sont impactées par les explosions, l’État semble préférer passer à l’offensive contre sa population.

*[Les noms ont été modifiés]

Agir

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