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© Press Association/Abdeljalil Bounhar/AP

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Tunisie

Chaque année, nous publions notre Rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde. Un an d’enquête, 155 pays analysés. Voici ce qu’il faut savoir sur les droits humains en Tunisie en 2023.

Les autorités ont intensifié la répression de la dissidence et engagé des poursuites, sur la base d’accusations dénuées de tout fondement, contre des personnalités de l’opposition et d’autres personnes ayant critiqué le régime. Des parlementaires ont présenté une proposition de loi répressive menaçant les organisations de la société civile indépendantes. Des dizaines de manifestant·e·s pour la justice sociale et l’environnement ont été injustement poursuivis en justice. L’indépendance de la justice, l’obligation de rendre des comptes et le droit à un procès équitable ont continué d’être mis à mal. Le président a proféré des remarques racistes qui ont déclenché une vague d’agressions et d’arrestations visant des personnes noires. Les autorités ont multiplié les interceptions en mer et procédé à des renvois collectifs et massifs vers les zones frontalières avec l’Algérie et la Libye. La représentation des femmes au Parlement s’est réduite de moitié. Des personnes LGBTI et des défenseur·e·s des droits humains ont été harcelés et ont fait l’objet de campagnes haineuses en ligne. Les crises liées au coût de la vie et à l’environnement se sont aggravées et ont eu des conséquences directes sur l’accès à l’eau et à l’alimentation.

CONTEXTE

Une nouvelle session parlementaire s’est ouverte le 13 mars, à l’issue des élections qui ont eu lieu en décembre 2022 et janvier 2023 et dont le taux de participation n’avait jamais été aussi bas (11 %). Cette session était la première depuis la suspension de l’organe législatif par le président Kaïs Saïed en juillet 2021. Le 8 mars, le président a dissous tous les conseils municipaux.

Le 9 mai, un membre de la Garde nationale a attaqué la synagogue de la Ghriba, sur l’île de Djerba, et tué cinq personnes.

Le 16 juillet, la Commission européenne a signé avec la Tunisie un protocole d’accord prévoyant d’aider financièrement le pays à lutter contre la migration irrégulière. Cet accord a été négocié sans consulter la société civile et il omettait certaines garanties essentielles en matière de droits humains.

Les négociations avec le Fonds monétaire international concernant un plan d’aide de 1,9 milliard de dollars des États-Unis étaient dans l’impasse, le président Kaïs Saïed en rejetant les conditions.

LIBERTÉ D’EXPRESSION

Les autorités s’en sont prises de manière croissante aux personnes qui exerçaient leur droit à la liberté d’expression, recourant fréquemment aux dispositions draconiennes du nouveau Décret-loi n° 2022-54 relatif à la lutte contre les infractions se rapportant aux systèmes d’information et de communication.

Au moins 22 personnes, dont des avocat·e·s, des journalistes, des blogueurs et blogueuses et des militant·e·s politiques, ont été convoquées pour un interrogatoire, poursuivies en justice ou condamnées en lien avec des commentaires exprimés publiquement et considérés comme critiques à l’égard des autorités. Les charges pesant sur au moins 13 d’entre elles relevaient du décret-loi n° 2022-54 et, dans la plupart des cas, les poursuites résultaient d’une plainte du gouvernement.

Par deux fois, en mars et en avril, le Parlement a interdit aux médias privés et étrangers d’assister aux sessions parlementaires et, en juin, il a empêché les journalistes de couvrir les réunions des commissions parlementaires.

Le 16 mai, la cour d’appel de Tunis a condamné le journaliste Khalifa Guesmi à cinq ans d’emprisonnement pour un article sur des opérations de sécurité.

Le 13 décembre, un tribunal militaire de Tunis a condamné la militante politique Chaima Issa à 12 ans d’emprisonnement avec sursis pour des critiques formulées contre les autorités.

Le Syndicat national des journalistes tunisiens a signalé des dizaines de cas de harcèlement de journalistes qui couvraient les élections législatives et d’entrave à leur travail.

RÉPRESSION DE LA DISSIDENCE

Les autorités ont intensifié la répression de la dissidence en ciblant une plus grande diversité de représentant·e·s de l’opposition, alléguant des infractions liées à la liberté d’expression ainsi que des actes de conspiration et de terrorisme pour les arrêter, mener des enquêtes à leur sujet et les condamner.

Les autorités judiciaires s’en sont prises tout particulièrement aux membres d’Ennahda (Renaissance), le principal parti d’opposition. Elles ont ouvert des enquêtes sur au moins 21 de ses membres et dirigeants et en ont arrêté au moins 12. Le 30 octobre, la cour d’appel de Tunis a condamné Rached Ghannouchi, président d’Ennahda et ancien président du Parlement dissous, à 15 mois d’emprisonnement au titre de la loi de 2015 relative à la lutte contre le terrorisme, pour des propos qu’il avait tenus publiquement. Le 13 février, les forces de sécurité ont arrêté Noureddine Bhiri, ancien ministre de la Justice et dirigeant d’Ennahda. Une chambre d’accusation l’a renvoyé en novembre devant une chambre criminelle. À la fin de l’année, il se trouvait toujours en détention provisoire pour des chefs passibles de la peine de mort liés à des critiques publiées en ligne.

À partir du mois de février, au moins 50 personnes, dont des représentant·e·s de l’opposition, des défenseur·e·s des droits humains, des avocat·e·s et des personnalités du monde des affaires ont fait l’objet d’une enquête portant sur un prétendu complot et d’accusations forgées de toutes pièces concernant des faits passibles de lourdes peines d’emprisonnement, voire de la peine capitale. Le 3 octobre, la police a arrêté Abir Moussi, présidente du Parti destourien libre, une formation de l’opposition, alors qu’elle tentait de déposer un recours contre des décrets présidentiels liés à l’organisation des prochaines élections. Elle était toujours en détention provisoire à la fin de l’année et encourait la peine de mort pour avoir exercé son droit à la liberté d’expression et de réunion.

LIBERTÉ D’ASSOCIATION

Le chef de l’État a continué d’accuser les organisations de la société civile de s’immiscer dans les affaires de la Tunisie et de financer la corruption.

Le 18 avril, la police a ordonné à toutes les personnes présentes au siège d’Ennahda, à Tunis, d’évacuer les lieux, sans présenter aucun document judiciaire ; elle a ensuite fermé ces locaux et interdit à quiconque d’y retourner. Le ministère de l’Intérieur a donné l’ordre à la police, dans une communication interne dont le contenu a été divulgué, d’interdire les réunions et rassemblements dans les locaux d’Ennahda et du Front de salut national.

Le 10 octobre, un groupe de parlementaires a soumis une proposition de loi sur les associations pour remplacer le Décret-loi n° 88 de 2011 relatif aux associations, qui mettait en péril l’indépendance de la société civile. Le Premier ministre a annoncé le 11 décembre qu’une commission intersectorielle allait travailler à la rédaction d’une nouvelle loi.

LIBERTÉ DE RÉUNION

Selon le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES), 3 016 actions de protestation ont eu lieu entre janvier et novembre 2023. La police a permis à la plupart des manifestations de se dérouler, mais elle en a dispersé certaines. Par exemple, plusieurs travailleuses et travailleurs agricoles qui manifestaient sur la place de la Kasbah, à Tunis, le 9 février, ont été arrêtés et leurs téléphones ont été fouillés.

En mars, à Siliana, dans le nord du pays, un procureur a engagé des poursuites contre 28 personnes concernant des manifestations ayant appelé au respect du droit à l’eau. Le 8 juin, un tribunal de Sfax, dans le sud-est du pays, a condamné au moins quatre militant·e·s écologistes à huit mois d’emprisonnement pour entrave à la liberté de travailler.

DROIT À UN PROCÈS ÉQUITABLE

Des juges qui avaient été limogés sommairement par décret présidentiel en juin 2022 n’avaient toujours pas obtenu réparation. Aucune action en justice n’a été engagée à la suite des plaintes individuelles déposées le 23 janvier par 37 d’entre eux contre le ministre de la Justice pour protester contre le défaut d’application d’une ordonnance du tribunal administratif de Tunis qui demandait la réintégration de 49 des 57 juges et procureur·e·s révoqués.

Le président a porté atteinte à l’indépendance du pouvoir judiciaire et au droit à un procès équitable en préconisant publiquement de poursuivre en justice les personnes qui critiquaient le gouvernement.

Les autorités judiciaires ont arbitrairement prolongé la détention provisoire d’au moins 20 représentants de l’opposition, personnalités publiques et personnes considérées comme des détracteurs du chef de l’État ; cela faisait entre cinq mois et deux ans que ces personnes étaient incarcérées, notamment pour des accusations infondées de complot et de terrorisme.

Des tribunaux militaires ont cette année encore jugé des civil·e·s. Le 20 janvier, la Cour d’appel militaire a condamné six civils, dont quatre personnalités politiques de la coalition d’opposition Al Karama ainsi qu’un éminent avocat, à des peines allant de cinq à 14 mois d’emprisonnement pour insultes et menaces à l’encontre d’un fonctionnaire, entre autres chefs d’accusation.

IMPUNITÉ

Les autorités n’ont pas amené les membres des forces de sécurité et les responsables politiques mis en cause de façon crédible pour des violations des droits humains à rendre des comptes.

Un tribunal de Tunis a infligé une amende à six personnes pour avoir filmé la police en train de frapper un homme dans l’arrondissement d’El Kabaria, dans le sud de la ville, en janvier, et pour avoir publié la vidéo en ligne. Parmi les personnes poursuivies figuraient des membres de l’association Génération anti-marginalisation, ainsi que la victime.

Le 2 mars, un juge d’instruction a inculpé Sihem Ben Sedrine, ancienne présidente de l’Instance vérité et dignité, sur la base d’accusations fallacieuses liées à ses fonctions au sein de cette instance, et lui a interdit de voyager.

DROITS DES PERSONNES RÉFUGIÉES OU MIGRANTES

La protection des droits des personnes réfugiées ou migrantes s’est nettement détériorée au cours de l’année.

Le 21 février, le président Kaïs Saïed a eu des propos discriminatoires et haineux qui ont provoqué une flambée de violences racistes de la part de citoyen·ne·s et de fonctionnaires de police contre des personnes noires, et donné lieu à plusieurs centaines d’arrestations arbitraires.

Le 11 avril, la police a utilisé de manière excessive des gaz lacrymogènes contre des personnes migrantes, demandeuses d’asile ou réfugiées qui participaient un sit-in devant les bureaux du HCR à Tunis ; un grand nombre de ces personnes ont été arrêtées et frappées pendant leur garde à vue.

À partir du mois de juillet, les forces de sécurité ont mené des rafles et expulsé arbitrairement vers la Libye et l’Algérie plusieurs milliers de personnes migrantes, demandeuses d’asile ou réfugiées, dont des enfants. Selon le HCR, au moins 28 personnes sont mortes entre juillet et août dans le désert jouxtant la frontière libyenne. Ces expulsions collectives ont été menées sans examens individualisés et en l’absence de toute procédure judiciaire. Un grand nombre d’expulsions ont eu lieu à la suite d’interceptions en mer, qui se sont multipliées à partir de juillet et qui étaient souvent marquées par des manœuvres imprudentes lors desquelles des personnes migrantes ont été blessées. La police et la Garde nationale ont infligé des tortures et d’autres mauvais traitements à des personnes pendant leur débarquement, leur expulsion et leur détention.

DROITS DES FEMMES ET DES FILLES

Après les progrès accomplis en matière de parité entre hommes et femmes, l’élection du nouveau Parlement a marqué un recul, avec seulement 25 députées élues sur 161 sièges, recul qui s’expliquait par la suppression de dispositions relatives à la parité dans la loi électorale.

L’Association tunisienne des femmes démocrates a recensé au moins 21 féminicides et déclaré avoir apporté une aide à plus de 600 femmes ayant déclaré avoir subi des violences.

En mars, un collectif national de travailleuses agricoles a demandé que des réformes législatives soient mises en œuvre pour leur garantir l’accès à une couverture santé, à des moyens de transport sûrs et à un revenu suffisant. D’après une étude du FTDES, 92 % des travailleuses agricoles interrogées ne bénéficiaient d’aucune protection sociale.

DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET DES PERSONNES BISEXUELLES, TRANSGENRES OU INTERSEXES

Les campagnes haineuses et les manœuvres de harcèlement visant les personnes LGBTI et leurs défenseur·e·s se sont multipliées.

Damj, l’Association tunisienne pour la justice et l’égalité, a signalé en juillet que des membres des forces de sécurité avaient menacé de fermer ses bureaux. Le 8 août, cette association a porté plainte à la suite d’une campagne diffamatoire et haineuse en ligne.

Cette année encore, des tribunaux ont prononcé des condamnations à des peines allant jusqu’à deux ans d’emprisonnement au titre de l’article 230 du Code pénal, qui érigeait en infraction les relations sexuelles librement consenties entre adultes de même sexe.

DROIT À L’ALIMENTATION

Le coût de la vie a augmenté et la crise économique s’est aggravée, mettant toujours plus en péril l’accès à différents droits socioéconomiques, dont le droit à l’alimentation.

Selon l’Institut national de la statistique, sur les 11 premiers mois de l’année, les prix des denrées alimentaires ont augmenté de 14,5 % par rapport à la même période en 2022. Les pénuries de produits alimentaires de base sont devenues chroniques. Au premier semestre 2023, l’État a réduit de 19 % ses dépenses affectées au subventionnement des denrées alimentaires par rapport à la même période de l’année précédente.

DROIT À L’EAU

La Tunisie a subi la pire sécheresse jamais enregistrée. La Société nationale d’exploitation et de distribution des eaux (SONEDE) a déclaré le 31 mars qu’elle allait procéder à des coupures d’eau la nuit. Le ministère de l’Agriculture a quant à lui annoncé des restrictions de l’utilisation de l’eau potable, restrictions qui ont été reconduites le 28 septembre pour une durée indéterminée. Ces annonces n’ont pas précisé clairement quelles étaient les zones affectées ni expliqué les écarts entre celles qui ne subissaient aucune coupure et celles qui pâtissaient de longues interruptions, même pendant la journée. Le 20 novembre, le directeur général de la SONEDE a déclaré que ces écarts étaient dus à des différences d’altitude qui affectaient l’approvisionnement en eau.

Le rapporteur spécial des Nations unies sur les droits de l’homme à l’eau potable et à l’assainissement a souligné dans un rapport paru en juillet que le gouvernement avait à plusieurs reprises donné la priorité à de puissants secteurs de l’économie, comme les grandes exploitations agricoles et minières, au détriment de l’approvisionnement de la population en eau à usage domestique.

DROIT À UN ENVIRONNEMENT SAIN

La Tunisie souffrait de plus en plus des conséquences du changement climatique et a subi une sécheresse, une vague de chaleur et des feux de forêt ayant atteint des niveaux records. Le 14 juin, le ministère de l’Environnement a présenté un projet de code de l’environnement incluant un chapitre sur la lutte contre le changement climatique et proposant d’instituer une haute instance chargée de la « transition écologique ».

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